
Figure importante de l’avant-garde picturale, Wyndham Lewis a été officier d’artillerie dans les Flandres puis artiste officiel de guerre. Dans son autobiographie, parue en 1937, il évoque ses missions sur le front occidental avec une ironie typique de l’intelligentsia britannique. |
Artiste de guerre
Peintre et écrivain britannique, essentiellement connu pour avoir créé le mouvement vorticiste, Percy Wyndham Lewis naît sur le yacht de son père, au large du Canada. Il a de ce fait la double nationalité britannique et canadienne. Ses parents divorcent quand il a onze ans. Sa mère décide alors de revenir s’établir en Grande-Bretagne. Wyndham Lewis suit les cours de la prestigieuse école privée de Rugby puis de l’école d’art de Slade avant d’entrer à l’université de Londres. Il passe une bonne partie des années 1900 à voyager en Europe, notamment à Paris, où il fait son apprentissage artistique.
Installé à Londres à partir de 1908, Lewis fait partie de différents groupes d’écrivains et de peintres. En 1912, il acquiert une certaine notoriété en exposant ses dessins et peintures cubo-futuristes. Son style abstrait, résolument avant-gardiste, est baptisé vorticisme par Ezra Pound. Le recours aux lignes courbes ou brisées pour créer des mouvements giratoires en est une des caractéristiques principales. Le mouvement vorticiste crée son propre journal, Blast, édité par Wyndham Lewis. Après une exposition collective en 1915, le groupe se dissout.
Le sous-lieutenant Wyndham Lewis sert principalement sur le front des Flandres, dans l’artillerie. Sa mission consiste à scruter les lignes ennemies dans les postes d’observation avancés pour repérer les cibles à bombarder. Après la troisième bataille d’Ypres, en 1917, il devient artiste officiel pour les gouvernements britannique et canadien. Ses tableaux sont basés sur son expérience personnelle de l’artillerie. A Battery Shelled est particulièrement impressionnant avec ses lignes brisées et ses personnages désarticulés. En 1918, une exposition de ses œuvres, intitulée Guns, est organisée à Londres. Le public découvre une vision de la guerre à laquelle il n’est pas habitué. Comme Lewis, la plupart des peintres-combattants ont opté pour un style qui cherche à s’éloigner du réalisme. La Grande Guerre, qui par bien des aspects est l’aboutissement tragique de la modernité industrielle, ne peut pas être représentée selon les anciens critères de la peinture de guerre, genre figé et académique, qui en l’occurrence serait en décalage total avec la réalité des tranchées.
Après 1918, Wyndham Lewis poursuit sa carrière de peintre, avec notamment une exposition très remarquée en 1921, Tyros, où il propose des portraits-caricatures représentatifs du nouveau monde qui a émergé de la guerre. Parallèlement, il mène une carrière littéraire. Son roman Tarr, publié en 1918, s’inscrit dans une démarche moderniste. Ezra Pound considérait qu’il s’agissait du roman le plus vigoureux, le plus volcanique, de notre temps. Son autobiographie intitulée Blasting and Bombardiering (1937) relate sa vie jusqu’en 1926. Les pages consacrées à la Grande Guerre proposent une série de petites scènes de front d’une grande originalité. Le regard que porte Lewis sur la guerre est à la fois réaliste et ironique, parfois désabusé mais toujours empreint d’une légèreté de ton typiquement britannique. Son goût pour la satire, qu’il a cultivé tout au long de sa carrière, en peinture comme en littérature, est également présent dans ces pages, au style vif et caustique.
Si Wyndham Lewis a été un artiste et un écrivain important, dont les productions, aussi bien littéraires que picturales, sont d’une qualité indéniable, son oeuvre reste toutefois assez méconnue. Ses positionnements politiques l’ont peut-être desservi auprès des critiques et du public. Son anticommunisme viscéral l’a en effet parfois amené à afficher des sympathies envers la droite extrême.
Dans l’extrait qui suit, le phénomène de la peur est abordé avec une ironie typiquement britannique.
– Ils ont remis ça ! grogna-t-il avec dégoût en s’agitant dans son lit. Chaque soir, c’est pareil. Avant-hier, le bombardement a duré plus d’une heure. Ils nous ont repérés, je crois, et ils ne nous laisseront plus tranquilles.
A peine avait-il poussé sa complainte qu’un deuxième obus fut lancé. Dès les premières stridences, son lit produisit un violent craquement. Tandis que l’obus descendait – décrivant à grand bruit une étrange parabole – un sifflement anal lui répondit, en provenance du lit. Mon compagnon de cagna n’avait pu réprimer cette réponse, symptomatique de son trouble.
Ce fut ma première rencontre avec la « frousse », et c’était aussi ma première expérience des bombardements. En fait, il s’agissait du plus beau spécimen de frousse qu’on puisse trouver. Il se répéta à chacun des cris d’obus suivants. Les courses effrayantes des cylindres de métal produisaient systématiquement un humble lâché de gaz corporel. Mon compagnon ne semblait pas gêné par mon regard. Je suppose qu’il pensait que j’attribuerais ces manifestations à une indigestion.
Après plusieurs autres obus, nous nous sommes assis sur nos lits. Il me donna son opinion sur l’architecture de nos abris. Son esprit n’est plus accaparé par les obus, pensais-je avec soulagement.
– Cet abri est une blague ! me dit-il. Il n’arriverait même pas à stopper une balle en caoutchouc ! C’est une calamité !
– Vraiment ? fis-je en regardant avec inquiétude le toit de terre situé à une cinquantaine de centimètres au-dessus de ma tête.
Comme la plupart des bleus, je m’étais imaginé qu’un abri – n’importe quel abri – était fait pour protéger les soldats des tirs d’obus et qu’il offrait un minimum de sécurité. Je m’étais senti en sûreté quand j’étais entré dans cet igloo de terre. Mais notre conversation mit rapidement fin à mes certitudes.
– Un cinq-neuf transpercerait le toit comme s’il était en papier ! m’assura-t-il. Si un de ces obus frappe notre abri, c’est la mort assurée.
Tandis qu’il parlait, un autre obus atterrit à proximité. Il me semblait qu’il était tombé à un mètre à peine, car il m’était difficile de juger de la distance d’une explosion avec le son pour seul repère.
– Il n’est pas passé loin ? demandai-je.
– Non. La plupart tombent dans le champ juste à côté. Mais c’est vrai que c’est assez proche.
– Assez, répétai-je. Il faudrait peut-être sortir pour voir ce qui se passe ?
– Y’a rien qui se passe. C’est tout le temps comme ça. L’abri pourrait arrêter un éclat. Mais jamais un tir en plein dans le mille.
Je compris que si nous sortions nous nous exposerions aux éclats d’obus. La possibilité d’un tir atteignant l’abri était bien moindre. Il était en effet plus sage de rester à l’intérieur.
Il continua à m’entretenir de la futilité des abris – surtout les nôtres, qui étaient de véritables pièges à sous-officiers.
– Il n’y a rien au-dessus, dit-il en pointant son doigt vers le toit, sinon un peu de terre. Juste quelques pelletées et deux-trois bûches.
– C’est tout ? m’exclamai-je, indigné.
– C’est tout. Ça sert à quoi, tout ça ? Mais il y a aussi la tôle ondulée, n’oublions pas.
– C’est vrai ? demandai-je en levant les yeux avec espoir.
– Du moins, je crois. A quoi, ça sert tout ça ? Les sacs de terre sur le côté ont à peine trente centimètres d’épaisseur. Un obus traverse ça comme du beurre. Les obus adorent faire des trous dans les sacs de terre.
Je levai à nouveau la tête dans un silence scandalisé.
– Je me demande même pourquoi ils prennent la peine d’en construire. Ils n’ont aucune utilité. On dormirait sous une tente Nissen que ce serait du pareil au même. Nos abris n’arrivent même pas à arrêter la pluie. A chaque fois qu’il pleut, j’ai le visage trempé.
– Je suppose, dis-je pour alimenter la conversation, qu’ils ont tout de même une certaine utilité. Les bûches peuvent par exemple amortir l’explosion.
– Détrompe-toi ! L’obus arriverait sans problèmes à nous exploser la tête. En une seconde, on serait truffés d’éclats.
Sa démonstration m’avait convaincu. Les abris de surface, faits de sacs de remblai, de poutrelles et de terre, étaient tous inutiles.