Wilfrid Gibson (1878-1962)

Déclaré quatre fois inapte au service

Ceux qui n’ont pas été acceptés par les centres de recrutement en 1914 forment un groupe disparate, que rien n’unit, et dont on parle peu. Pourtant, ces jeunes Britanniques inaptes au service actif, ont vécu les années de guerre avec une part de culpabilité tenace. Wilfrid Gibson a essayé de se faire enrôler à quatre reprises mais a été à chaque fois rejeté en raison de sa vue déficiente. Comme tous ceux ayant été refusés par l’armée, il éprouvera un sentiment de colère et de frustration en apprenant la mort de ses camarades. Ayant déjà publié de la poésie et du théâtre avant guerre, il utilisera ses talents d’écrivain pour parler, non de son expérience de réformé, sur laquelle il préfère se taire, mais du vécu même des combattants. Il ne s’agit en aucune façon d’une imposture mais d’un désir sincère d’évoquer la réalité à laquelle il n’a pas pu prendre part. Par un travail d’imagination basé sur les témoignages, Gibson aboutit à un résultat surprenant. En lisant ses poèmes de guerre, le lecteur est persuadé que l’auteur a vécu ce qu’il décrit. En fait, certains poèmes de Gibson comptent parmi les plus grandes réussites du genre. Faut-il les écarter sous prétexte qu’ils ne sont pas le fruit d’une expérience directe ? Leur impact et leur part de vérité sont réels. Wilfrid Gibson n’a jamais cherché à tromper le lecteur.

Né en 1878, à Hexam, dans le Northumberland, Wilfrid Gibson est fils de pharmacien. Bien qu’appartenant à la classe moyenne, il ne suit pas le parcours scolaire classique avec public school et université à la clé. Il préfère se lancer le plus tôt possible dans la carrière littéraire. Très vite, il trouve son inspiration dans les milieux populaires dont il a à coeur de décrire les difficultés. Ses poèmes célèbrent avec empathie la vie des ouvriers, des mineurs et des fermiers. Il publie son premier recueil de poésie dès 1902. Des pièces de théâtre suivent. Il recourt à un style réaliste, qui marque les esprits. Conscient que sa carrière n‘est pas à la hauteur de ses ambitions, il s’installe à Londres pour être au cœur du monde artistique. Il y rencontre les intellectuels en vue, les artistes de l’avant-garde et les écrivains qui comptent, notamment Katherine Mansfield et Rupert Brooke. Avec ce dernier, le courant passe immédiatement, même si leurs personnalités sont opposées. Il prend part à la création du groupe des poètes georgiens, initié par Edward Marsh.

En novembre 1913, Wilfrid Gibson épouse Geraldine Townsend. Le couple s’installe à Dymock, dans le Gloucestershire. Malgré des difficultés financières, Gibson continue d’écrire et son cottage accueille régulièrement les poètes du groupe de Marsh.

Après avoir été rejeté par l’armée, il écrit des poèmes tels que Before Action, Breakfast et The Bayonet, où son talent est à la hauteur de l’enjeu : décrire une scène avec une grande économie de moyens pour faire naître l’émotion. Son recueil, Battle, est salué par la critique. Lascelles Abercrombie, poète qui a également été refusé par l’armée et qui travaille dans une usine de munitions, voit dans le recueil de Gibson une série de petits drames écrits avec simplicité et immédiateté…dénués de commentaires et retranscrivant avec émotion les pensées et les sentiments des soldats. Le Literary World n’hésite pas à utiliser le mot génie pour parler de sa poésie.

Son second recueil centré sur la guerre, Friends, publié la même année que le précédent, est tout aussi réussi. La mort de Rupert Brooke y occupe une grande place. Celui qui est devenu un héros national après sa mort en avril 1915 et la publication posthume de ses sonnets de guerre n’a pas oublié ses amis poètes dans son testament. Tout comme Abercombrie et De La Mare, Gibson recevra chaque année une partie des droits d’auteur du recueil de Brooke. En 1917, il est invité à venir donner aux États-Unis des conférences sur le héros britannique. A la fin de l’année, sa quatrième tentative pour intégrer l’armée est couronnée de succès. Il ne partira pas pour autant au front et devra se contenter d’être chauffeur à Londres pour le Corps de Service puis secrétaire d’un médecin-major. Ce travail administratif l’ennuie assez vite mais il lui faudra malgré tout attendre 1919 pour être démobilisé.

Par la suite, il publiera plus de vingt livres avant de mourir en 1962, à l’âge de 83 ans. En tant que « poète de guerre », il est souvent sous-estimé, ou passé sous silence en raison de son absence d’expérience au front.

The Question est typique de l’art poétique de Gibson. Le narrateur, un modeste ouvrier agricole, est engagé dans un combat aux dimensions mondiales mais ce qui le préoccupe est de savoir si la vache qu’il a laissée malade avant de partir au front est toujours en vie. Dans une langue simple et directe, Gibson nous donne à voir l’essentiel, avec humanité et compassion.

DE RETOUR  
On me demande où j’ai été,
Ce que j’ai fait, ce que j’ai vu.
Mais que puis-je répondre,
Car je sais que ce n’était pas moi,
Mais quelqu’un qui me ressemblait,
Là-bas, de l’autre côté de la mer,
Avec ma tête, avec mes jambes,
Il tuait des hommes en terre étrangère…
Mais je dois endosser la responsabilité
Vu qu’il portait mon nom.  
BACK  
They ask me where I’ve been,
And what I’ve done and seen.
But what can I reply
Who know it wasn’t I,
But someone just like me,
Who went across the sea
And with my head and hands
Killed men in foreign lands…
Though I must bear the blame,
Because he bore my name.  

TOMMIES 14-18

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