Wilfred Owen (1893-1918)

La célébrité posthume de Wilfred Owen est en partie due à Edmund Blunden, infatigable promoteur de la poésie des tranchées et lui-même auteur de La Grande Guerre en demi-teintes, ouvrage testimonial de référence. Devenu la voix poétique incontournable de la Grande Guerre, Wilfred Owen est aujourd’hui le « poète de la douleur », celui qui a su dire l’hécatombe et la dénoncer sans pour autant tomber dans le piège du réquisitoire.

Tombé à Ors le 4 novembre 1918

Aménagée en 2011 par le plasticien britannique Simon Patterson, la Maison Forestière d’Ors (59) est un véritable mémorial à la gloire de Wilfred Owen. C’est dans la cave de cette bâtisse que le poète-combattant a passé sa dernière nuit, le 4 novembre 1918. Décoré de sérigraphies des manuscrits d’Owen, ce lieu est devenu une étape obligée des circuits du souvenir associés à la Grande Guerre. Il marque l’aboutissement d’une renommée qui n’a fait que grandir au fil des décennies. En 1962, le compositeur Benjamin Britten, utilise l’œuvre d’Owen pour son War Requiem. Les documentaires sur sa vie et les études sur son œuvre se sont multipliés ces trente dernières années. Wilfred Owen est devenu la référence en matière de poésie de la Première Guerre mondiale. Cette surexposition masque cependant la diversité de l’ensemble de la production poétique générée par le conflit. La poésie d’Owen, dont les qualités sont indéniables, ne montre qu’un des aspects de la guerre. Dans la préface de son recueil publié en 1918, il écrit : Mon sujet est la guerre et la douleur de la guerre. La poésie est dans la douleur et la pitié. Aujourd’hui, tout ce que peut faire le poète, c’est mettre en garde. Mort une semaine avant l’Armistice, il avait toujours voulu devenir écrivain mais il n’aurait certainement pas prédit qu’il deviendrait la voix britannique la plus célèbre de la Grande Guerre et trouverait sa place dans tous les manuels scolaires.

     Né en 1893, dans une famille bourgeoise, Wilfred Owen est un enfant studieux et doué, qui se passionne très tôt pour la poésie. Professeur d’anglais à Bordeaux au moment de l’entrée en guerre de la Grande-Bretagne, il ne s’engage pas tout de suite. Il attend juin 1915 pour se porter volontaire et postuler aux Artists’ Rifles. Il a clairement l’intention de bénéficier de l’environnement littéraire propre à ce régiment pour favoriser sa carrière naissante. Après une longue période d’instruction en Angleterre, au cours de laquelle il devient sous-lieutenant dans le 5e bataillon du régiment de Manchester, il arrive à Étaples le 30 décembre 1916, avant de rejoindre Doullens puis Beauval. Les lettres qu’il écrit régulièrement à sa mère n’évitent aucun détail de la réalité de la guerre. Le 13 mars, il tombe dans une cave et y reste 24 heures, fiévreux, en proie au délire. Après quinze jours de repos, il rejoint son bataillon à Savy, près de Saint-Quentin. La violence des bombardements le déstabilise au point qu’il est déclaré « neurasthénique », euphémisme qu’utilise l’armée pour décrire les commotions entraînant des troubles psychologiques. D’abord soigné dans un hôpital d’évacuation du front, il est ensuite envoyé à l’hôpital psychiatrique de Craiglockhart, près Edimbourg. Ce séjour sera déterminant pour lui car il lui permettra de rencontrer Siegfried Sassoon, également hospitalisé dans le centre de soins écossais. Les deux hommes deviennent amis et discutent longuement de l’art poétique et de la façon dont il peut rendre compte de la guerre. Au contact de Sassoon, Owen prend confiance dans sa technique et trouve la voix innovante qui fera de lui un poète de renom. Il entre dès lors en contact avec des écrivains-combattants tels que Robert Graves, Robert Nichols et Edmund Blunden. Tous l’encouragent à poursuivre son œuvre, y décelant un talent de premier plan.

     Ses poèmes ne dénoncent pas la guerre en tant que telle mais insistent sur sa brutalité et ses conséquences à l’échelle individuelle. Owen sait aussi faire preuve d’une ironie toute britannique, qui cherche à mettre en perspective des réalités fortes et contradictoires. Il a recours à des images puissantes, qui visent à déranger sans pour autant aboutir à un discours anti-guerre structuré. Son poème Dulce et Decorum Est (citation extraite d’un  célèbre vers d’Horace : Qu’il est doux et honorable de mourir pour sa patrie) a été écrit en opposition à tous les « versificateurs patriotes » qui encombrent les journaux de leur production fade et mensongère. Le poème est initialement dédié à Jessie Pope, poétesse qui publie dans les journaux des poèmes de propagande d’un chauviniste exacerbé. Les poèmes de Wilfred Owen laissent une large part à l’indignation et à la compassion, exprimées avec une très grande maîtrise stylistique.

      Au terme de sa période de convalescence, Wilfred Owen est déclaré à nouveau apte pour le service et repart en France le 31 août 1918. Après une semaine passée au célèbre Bull-ring, l’immense champ de manœuvres d’Étaples, il rejoint son bataillon à Corbie, dans la Somme, avant d’être transféré dans un secteur de l’Aisne. Une action sur le canal de Saint-Quentin lui vaut la Médaille Militaire. A l’instar de son ami Siegfried Sassoon, son courage et sa vaillance au combat s’expriment soudainement avec une énergie surprenante, balayant tous les soupçons de lâcheté que certains avaient pu émettre quand il avait été évacué suite à sa « commotion ». Contre toute attente, Owen est devenu un bon officier, respecté par ses hommes.

      A la fin du mois d’octobre, son unité se bat le long du canal Sambre-Oise. Le 2 novembre, elle reçoit l’ordre de le franchir. La manœuvre est périlleuse et tout repli inenvisageable. Le 4 novembre, Wilfred Owen est tué en franchissant le canal. Son corps est enterré dans l’extension militaire du cimetière communal d’Ors. La nouvelle de sa mort parvient à sa famille au moment même où est annoncé l’Armistice. Sa mère décide de faire graver un extrait de son poème The End sur sa stèle.

      Sa mort en pleine jeunesse, qui plus est quelques jours avant l’Armistice, alliée au fait qu’il fut l’un des derniers grands poètes de tradition romantique, tout cela a créé le mythe. Il est devenu dans la mémoire collective britannique l’archétype même du poète de la Grande Guerre. Ses derniers poèmes montraient cependant une évolution qui l’amenait à s’éloigner du romantisme. Outre sa valeur littéraire, la poésie d’Owen nous en dit beaucoup sur le psychisme du combattant, avec notamment la récurrence de certaines images obsessionnelles.

Lettre :

TOMMIES 14-18

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