
Les lettres de ce jeune officier, publiées en 1991, sont typiques de la gouaille dont faisaient preuve les tommies quand ils donnaient des nouvelles à leurs familles. Tué le 1er juillet 1916, Wilfred Nevill est l’un des initiateurs de la célèbre charge au ballon du régiment de l’East Surrey. |
L’esprit sportif
Entre le moment où il s’est engagé en 1914 et sa mort, le premier jour de la grande offensive de la Somme, Wilfred Nevill a écrit plusieurs centaines de lettres à sa famille. Plus de deux cents d’entre elles ont été conservées, et publiées pour la première fois en 1991. Cette correspondance nous permet de suivre le parcours d’un jeune officier qui ne doute jamais de la victoire et ne s’encombre pas d’états d’âme. La désillusion et la colère ne viendront pour la plupart des combattants britanniques qu’après la bataille de la Somme. Le ton est léger, avec un humour de collégien qui ne vise pas seulement servir à rassurer la famille. La désinvolture de l’auteur correspond à un état d’esprit qui n’est pas si rare parmi les jeunes officiers. Wilfred est un garçon sportif, qui s’est distingué au rugby, au cricket et au hockey au lycée de Douvres. Cette passion pour le sport l’amènera à acheter quatre ballons de football lors d’une permission. Il en donnera un à chacune de ses sections. Wilfred Nevill est en effet l’un des initiateurs de la célèbre charge au ballon du régiment de l’East Surrey le 1er juillet 1916. Les journaux illustreront abondamment cette action. Les dessins des vaillants soldats britanniques poussant un ballon vers les tranchées ennemies passeront à la postérité. Au-delà de l’image de propagande, que le temps a chargé de naïveté, il faut savoir que dans l’armée britannique le sport occupait une place de premier plan. Des matchs étaient régulièrement organisés pour développer les qualités physiques, favoriser l’esprit de corps et rapprocher les officiers de leurs hommes.
Les lettres de celui que tout le monde surnommait Bill nous décrivent le quotidien de la guerre, aussi bien au front que dans les cantonnements. Elles nous permettent aussi de découvrir une famille britannique unie, aux rapports dénués de toute afféterie : une mère veuve, trois garçons et deux filles. La sœur ainée de Bill, Amy, est infirmière bénévole. De 1915 à 1919, elle soigne les blessés en France et en Italie. Quelques-unes de ses lettres ont été intégrées à Billie : The Nevill Letters 1914-1916.
Ici
Voilà
Voici
Ne pense pas (1)
Chers gens, nations et langages de toutes sortes
Salut ! J’ai tellement de petites choses intéressantes (du moins je l’espère) à vous dire, & comme je veux que Muff en profite également, & (comme) je n’ai pas le temps d’écrire deux fois la même chose, je joins à cette lettre une copie au carbone, où les passages comportant le plus d’informations sont reproduits. En fait, c’est la même lettre, mais avec un en-tête et une fin personnalisés. Espérons que je ne les inverserai pas dans les enveloppes !
Je vais essayer de vous décrire notre cantonnement. Il y a une grande cour entourée d’étables et de remises, et un corps d’habitation, qui est à la fois une ferme et un magasin. Derrière, on trouve un beau jardin et un verger, d’où je vous écris. J’ai bien peur que notre arrivée ait perturbé le train-train habituel de la famille. Il suffit de jeter un coup d’œil à la fenêtre de la pièce à côté : on y voit un énorme lit, avec une rangée de sept têtes se partageant deux oreillers. Blonds et bruns, adultes et bébés, tous y dorment pêle-mêle. Les gosses raffolent des petites babioles qu’on leur donne en guise de souvenir. Dans la première étable (notre porte est toujours ouverte, côté route), il y a environ quinze lièvres et demi. Je les adore plus que je saurais le dire : ce sont les membres les plus calmes de notre communauté. Dans l’étable d’à côté se trouve un grand âne bruyant, qui semble être en détention solitaire, ce qui ne lui plaît visiblement pas beaucoup. Il possède une superbe voix de contralto et de basse, celle qui convient si bien pour chanter « Drake is going West, lads ». Malheureusement, je n’ai pas la partition avec moi. Il se réveille à 3 heures et quart du matin ! ! Et nous aussi par la même occasion ! ! ! Ensuite, un être mystérieux se lève à quatre heures chaque jour et actionne un bras de pompe couinant comme si sa vie en dépendait. Puis, il se lave bruyamment, juste sous ma fenêtre. Après, il marche avec ses sabots sur le pavé de la cour (je pourrais désormais l’identifier à plus d’un kilomètre) et s’en va libérer, non pas les Américains, comme dit Lewis Sydney dans Push and Go (2) (Pauvre de moi !) mais toute une colonie de canards à gorges puissantes, qui se précipitent à toute vitesse vers l’abreuvoir de la pompe et s’y baignent fortissimo en entonnant un hymne à la gloire du jour qui se lève. Cela met généralement en branle tout le reste de la volaille et la journée peut commencer, dans toute sa splendeur ! ….
(1) En-tête de lettre en français dans le texte
(2) : Nom d’un spectacle joué à Londres