
Anthropologue et journaliste, Vera Collum était en charge du service de presse de la confédération des suffragettes quand la guerre a éclaté. Elle rejoint l’association des hôpitaux féminins écossais et part soigner les blessés à l’abbaye de Royaumont. Après guerre, son travail d’anthropologue fait référence. |
Torpilles dans la Manche
Anthropologue, journaliste, photographe et auteure, Vera Christina Chute Collum est née en Inde et a grandi en Angleterre. Elle est en charge du service de presse de la confédération des suffragettes quand la guerre éclate. Dès le début du conflit, elle rejoint l’association des hôpitaux féminins écossais.
Envoyée à l’hôpital de l’abbaye de Royaumont (hôpital auxiliaire 301) en qualité de simple aide-soignante, elle intègre rapidement le tout nouveau service radiologique de l’établissement, où elle s’avère particulièrement compétente.
Le 24 mars 1916, après une période de repos en Angleterre, Vera Collum est grièvement blessée sur le navire qui la ramène en France. Torpillé par un sous-marin allemand, le Sussex ne coule pas mais plus d’une cinquantaine de morts sont malgré tout à déplorer. Le navire doit être remorqué jusqu’au port de Boulogne. Rapatriée en Angleterre, Vera sera vite rétablie et reviendra à Royaumont juste avant la bataille de la Somme. Pour son action pendant la guerre, le gouvernement français lui décernera la Médaille des Épidémies et la Croix de Guerre. Pendant le conflit, elle écrit régulièrement des articles pour Blackwood’s magazine sous le pseudonyme de Skia.
En 1924, elle est admise à l’Institut Anthropologique de Londres et entame une série de voyages en Extrême-Orient, notamment au Japon. Vera Collum est l’auteure de nombreux ouvrages scientifiques qui font autorité. Elle a notamment travaillé sur des sites mégalithiques en Bretagne et à Guernesey. Pendant la Seconde Guerre mondiale, elle fait à nouveau oeuvre sanitaire en France, cette fois en favorisant la création de cantines.
Dans l’extrait qui suit, sa description du torpillage du Sussex montre à quel point les traversées maritimes étaient dangereuses. Comme l’évoque également à plusieurs reprises Vera Brittain dans Testament of Youth, les sous-marins allemands constituaient un danger qui n’était pas loin de devenir une véritable hantise pour les infirmières en permission.
Extrait :
La Manche n’avait jamais été aussi bleue que ce 24 mars quand le Sussex quitta Folkestone pour Dieppe. Je me sentais au mieux de ma forme après ma permission. Ces cinq semaines avaient suffi à me débarrasser de la sensation de déliquescence qui s’était emparé de moi après douze mois de service hospitalier. J’avais retrouvé toute mon énergie. Une année est une longue période en temps de guerre. Les soldats d’une compagnie ou le personnel d’un hôpital tissent forcément des liens d’amitié au fil des mois. C’était plus encore le cas pour nous, car nous étions isolées. Notre hôpital était devenu à nos yeux un être vivant. Notre chirurgienne-en-chef, Miss Frances Ivens, nous inspirait du respect, voire de la dévotion, même si ce mot ne sied gère à la réserve dont tout Britannique fait habituellement preuve. J’étais donc heureuse de retrouver une vie que j’aimais, une directrice sous les ordres de laquelle je travaillais avec plaisir, des camarades qui m’aidaient à traverser les périodes de stress et un petit groupe d’amies fidèles. J’étais prête à apporter ma contribution à une tâche qui s’annonçait gigantesque : la grande offensive prévue au printemps.
Le navire partit de Folkestone à 1 h 30 sous les hourrahs des soldats qui embarqueraient après nous. Moins d’une demi-heure plus tard, l’ennemi nous rappela à son bon souvenir : nous vîmes la surface de l’eau couverte de sacs et autres objets en provenance d’un navire. « Voilà qui laisse songeur », dis-je à mon voisin.
Je me tournai à nouveau vers la mer à la recherche… d’un périscope. Comme il commençait à faire froid, j’envisageais de regagner mon fauteuil pour m’y installer dans une couverture. C’est alors que la mer et la terre se brisèrent dans un énorme mugissement. Une torpille nous avait percutés sur la droite. J’eus la sensation de tomber, écartelée, dans un abîme sans fond.
Ayant recouvré mes esprits, j’avançai à tâtons au milieu d’un enchevêtrement de câbles brisés, avec une douleur atroce dans le dos et le mal de tête le plus féroce que j’avais jamais eu. Mes cheveux emmêlés étaient collés à mon menton, souillés du sang qui semblait couler de ma bouche. Il y avait davantage de sang encore sur la manche de mon manteau. Je souffrais probablement d’une hémorragie interne, qui me faisait saigner davantage à chaque mouvement.
La première pensée que je pus clairement formuler fut : « Si seulement tout cela n’était qu’un cauchemar ! » J’avais terriblement peur de mourir noyée. Je parvins à me débarrasser des câbles qui m’entouraient et me relevai. En un regard, je vis plein de choses. Près de moi gisait une femme morte (Par la suite, je me suis demandée pourquoi j’étais sûre qu’elle était morte, car je ne m’étais pas penchée sur elle pour vérifier). Au-dessous, sur la demi-dunette et le pont promenade des deuxièmes classes, allaient et venaient de nombreux passagers, la plupart munis d’une bouée de sauvetage. Ils ne criaient pas, ce qui ne m’intrigua pas. J’ignorais alors que je ne pouvais pas les entendre car j’étais devenue sourde. L’explosion m’avait projetée à l’autre bout du navire, sur le pont supérieur.