Epitaphes

Sailly-sur-la-Lys (cimetière canadien)

[étude réalisée sur 10 000 épitaphes (soit un peu plus de 20 000 sépultures) dans les cimetières de la région]                            

Toutes les stèles des cimetières militaires britanniques comportent un ensemble équivalent d’éléments d’identification : le nom du combattant décédé, précédé d’une ou deux initiales pour le prénom, le matricule, le grade, le régiment, les éventuelles décorations, la date du décès et la plupart du temps l’âge du soldat. A ces indications s’ajoutent, pour de nombreuses stèles, un symbole religieux (une croix, une étoile de David) ainsi que l’emblème national ou régimentaire, le plus souvent sous forme d’écusson. L’ensemble de ces éléments participe à l’individualisation de chaque sépulture. Mais il en est un dernier qui personnalise encore davantage la tombe : l’épitaphe. Celle-ci est présente sur environ la moitié des stèles. En lisant ces inscriptions choisies par les familles, on est frappé par leur diversité, qui contraste avec les MORT POUR LA FRANCE systématiques des nécropoles françaises. Si certaines d’entre elles recourent aux formules consacrées du genre REPOSE EN PAIX, QUE TA VOLONTÉ SOIT FAITE, REGRETS ÉTERNELS et autres NOUS NE T’OUBLIERONS JAMAIS, la grande majorité des familles a souhaité un texte plus personnel.

            Les épitaphes sont de longueur très variable. Les plus courtes sont composées d’un mot ou deux (PAIX, AU REPOS, R.I.P.), les plus longues occupent quatre lignes, toujours au bas de la stèle. La Commission des Sépultures de Guerre a fixé une longueur maximale : quatre lignes pour un texte de 66 caractères, espaces inclus. Certaines épitaphes dépassent cependant ce nombre de lettres. Dans ce cas, les familles ont dû payer pour le supplément. Sur les 20 000 stèles servant de base à cette étude, la seule exception à cette règle de concision est visible au cimetière d’Hazebrouck. Sur la stèle en question, l’épitaphe occupe quinze lignes et relate avec précision les derniers jours du soldat. 

Nombreuses sont les formules qui cherchent à donner un sens à la mort. Dieu et la patrie sont naturellement convoqués.  Les énoncés ouvertement patriotiques ne sont cependant pas les plus nombreux. La formulation POUR DIEU ET SON  PAYS revient toutefois régulièrement. Nous avons aussi ANGLETERRE, NOUS SOMMES MORTS POUR TOI, IL A RÉPONDU A L’APPEL ou QUI MEURT SI L’ANGLETERRE VIT ? L’inscription PRO PATRIA, commune sur les monuments aux morts français, n’est que rarement attestée. Le mot héros apparaît le plus souvent dans la formulation : IL DORT DANS UNE TOMBE DE HÉROS. On observe çà et là quelques formules exaltées convenues telles que : EN MÉMOIRE D’UN GUERRIER HEUREUX ou LE CHEMIN DU DEVOIR QUI MÈNE A LA GLOIRE. Mais elles sont exceptionnelles. Le patriotisme s’exprime dans la grande majorité des cas par le simple constat du devoir accompli : IL A FAIT SON DEVOIR ou  DEVOIR ACCOMPLI DANS L’HONNEUR. La formulation REPOS (At rest) a le mérite d’évoquer dans sa simplicité même à la fois la fin des souffrances du combattant et les vertus de la discipline militaire.

Borre

La justification de la mort est le plus souvent exprimée en termes d’idéaux. Autre manière d’exalter, mais sans référence militaire, des valeurs britanniques.  IL EST MORT POUR QUE NOUS PUISSIONS VIVRE LIBRES, J’AI MENÉ LE BON COMBAT ou IL EST MORT EN COMBATTANT POUR LA LIBERTÉ & LA JUSTICE. L’épitaphe peut alors prendre la forme d’une devise : DEVOIR. HONNEUR. SACRIFICE. On trouve aussi TU AS PROUVÉ TES VALEURS CHEVALERESQUES ou IL.EST MORT COMME IL A VÉCU, NOBLEMENT qui rappellent le style quelque peu emphatique cher aux public schools. Ces références aux valeurs et à la juste cause se trouvent résumées dans une épitaphe choisie par de nombreuses familles : IL EST MORT POUR QUE NOUS PUISSIONS VIVRE. Il est à noter que l’ennemi n’est jamais directement mentionné, comme le demandait la Commission. 

La religion occupe une place nettement plus importante que la patrie. En fait, plus de la moitié des épitaphes ont un caractère religieux et évoquent le plus souvent l’immortalité de l’âme : appels à Dieu pour qu’il accueille le défunt (MISÉRICORDIEUX JÉSUS, ACCORDE-LUI LE REPOS ÉTERNEL, AMEN ), espérance dans l’au-delà (ENDORMI DANS LES BRAS DE JÉSUS), attente des retrouvailles (JUSQU’A CE QUE NOUS SOYONS A NOUVEAU RÉUNIS), évocation de la résurrection (LE MATIN DE LA RÉSURRECTION ou JUSQU’AU JOUR GLORIEUX DE PÂQUES), ou confiance dans les desseins de Dieu (QUE TA VOLONTÉ SOIT FAITE ou NOUS NE POUVONS PAS VOIR TES DESSEINS, Ô SEIGNEUR, MAIS NOUS SAVONS QUE CE QUE TU VEUX EST CE QU’IL Y A DE MIEUX POUR NOUS ou encore DIEU EST AMOUR). Les citations de la Bible sont nombreuses et variées. Les épitaphes récurrentes tirées de l’Ancien Testament sont DIEU EST UN REFUGE, SOUS SES BRAS ÉTERNELS EST UNE RETRAITE (Deutéronome 33-27), EN ATTENDANT L’AUBE. AVANT QUE SOUFFLE LE JOUR ET QUE S’ENFUIENT LES OMBRES (L’Ecclésiaste), JE VOUS AI PORTÉS SUR DES AILES D’AIGLE ET AMENÉS VERS MOI (Exode), AVANT QUE SOUFFLE LE JOUR ET QUE S’ENFUIENT LES OMBRES (Cantique des Cantiques), LA MÉMOIRE DU JUSTE EST UNE BÉNÉDICTION (Proverbes, X), JE T’AI APPELÉ PAR TON NOM, TU ES A MOI (Isaïe XLIII, 1), EN SA MAIN SONT LES CREUX DE LA TERRE (Psaume 95), JE VOUS REVAUDRAI LES ANNÉES QU’A MANGÉES LA SAUTERELLE (Joël, 2-25) et SUR DES PRÈS D’HERBE FRAÎCHE IL ME FAIT REPOSER (Psaumes 23-2). Les citations des Évangiles ayant le plus de succès sont : HEUREUX LES CŒURS PURS CAR ILS VERRONT DIEU et IL N’Y A PAS DE PLUS GRAND AMOUR. Il est à noter que cette dernière citation, très utilisée, se retrouve à égalité en version courte et longue (« Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis ») et que les mots peuvent légèrement varier d’une épitaphe à l’autre : …POUR LES AUTRES, …POUR SON PAYS… POUR SES AMIS. Cette citation de l’Évangile de saint Jean apparaît sous sept formes différentes sur les épitaphes répertoriées. Ceci indique que les ateliers de gravure de la Commission respectaient scrupuleusement les demandes des familles, au mot près.

Les dimensions religieuse et patriotique peuvent être réunies dans une même épitaphe : IL A CHERCHÉ LA GLOIRE DE SON PAYS ET A TROUVÉ LA GLOIRE DE DIEU, IL A DONNÉ SA VIE POUR SON PAYS ET SON ÂME A DIEU ou  UN BON SOLDAT DE JÉSUS CHRIST.

L’image de l’aube est omniprésente, associée ou non à la religion : JUSQU’AU POINT DU JOUR ou EN ATTENDANT L’AUBE. Dans la même veine, l’évocation de la lumière qui vaincra les ténèbres revient régulièrement : IL A NOBLEMENT DONNÉ SA VIE POUR SAUVER LA LUMIÈRE DE LA VIE.

Dikkebus

Tout un ensemble d’épitaphes énonce la pérennité du souvenir : NOUS TE T’OUBLIERONS JAMAIS, A JAMAIS DANS NOTRE SOUVENIR ou A JAMAIS DANS NOS PENSÉES. Parmi ces formules axées sur la force du souvenir, les plus communes sont : VIVRE DANS LE CŒUR DE CEUX QUE L’ON QUITTE N’EST PAS MOURIR ou  LA MORT DIVISE MAIS LE SOUVENIR RESTE VIVACE ou encore IL EXISTE UN LIEN QUE LA MORT NE PEUT ROMPRE, LE SOUVENIR ET L’AMOUR DURENT À JAMAIS. L’image du lierre pour exprimer la force du souvenir est assez souvent utilisée : COMME LE LIERRE S’ACCROCHE AU CHÊNE NOTRE SOUVENIR REFUSE DE TE QUITTER.

              Le souvenir peut être exprimé de façon plus personnelle, en insistant sur la douleur de la perte et son caractère irréparable. Ainsi, cette épitaphe, proche d’un style oral, est particulièrement émouvante : JE PENSE À TOI EN SILENCE ET PERSONNE NE ME VOIT PLEURER, POURTANT QUAND LES AUTRES DORMENT, NOMBREUSES SONT LES LARMES VERSÉES. Cette autre épitaphe est également poignante dans sa simplicité : JE T’AI PERDU. JE T’AI AIMÉ MAIS COMME LES AUTRES JE DOIS ÊTRE COURAGEUSE. Ou encore : DE BEAUX SOUVENIRS ASSOMBRIS PAR LE CHAGRIN. La douleur peut également être énoncée de manière plus universelle : DEVOIR AIMER PUIS SE QUITTER EST LA PLUS GRANDE DES TRISTESSES DANS LE CŒUR D’UNE MÈRE  ou  NOUS IRONS UN JOUR VERS LUI MAIS LUI NE REVIENDRA JAMAIS A NOUS.

            L’épitaphe exalte naturellement les qualités du soldat défunt. Celles-ci peuvent être militaires mais pas uniquement : IL A TOUJOURS TENU PAROLE, IL N’A JAMAIS TOURNÉ LE DOS, UN MARI DÉVOUÉ, UN PÈRE AIMANT, UN GENTLEMAN SANS PEUR ou tout simplement UN DES MEILLEURS. L’exaltation des qualités du disparu peut facilement entrer dans un processus d’héroïsation, voire de quasi déification. Certaines épitaphes sont à la première personne. Les paroles prêtées au soldat réconfortent les siens. QUAND LES AMIS VOUS ENTOURENT ET QUE VOUS ÊTES DANS LA JOIE, SOUVENEZ-VOUS DE MOI ou À L’APPEL DE L’ANGLETERRE J’AI RÉPONDU MAIS JE SUIS TOMBÉ SUR LE SOL DE FRANCE.

              Un certain nombre de familles ont cherché à individualiser l’épitaphe en choisissant de faire inscrire des détails propres à leur défunt. Comme le patronyme n’est précédé que de l’initiale ou des doubles initiales du prénom, les proches ont parfois ressenti le besoin de faire apparaître le prénom entier ou un diminutif affectif dans l’épitaphe : EN MÉMOIRE DE NOTRE CHER ALBERT… VIC… REGGIE… ALICK ou autres. Le nom peut éventuellement faire office de signature : EN TOUTES CHOSES, J’AI TOUJOURS ESSAYÉ DE FAIRE DE MON MIEUX, ARCHIE. La présence de ces prénoms adoucit le caractère formel et militaire de l’ensemble des inscriptions présentes sur la stèle.

             

Dranoutre

Les circonstances de la mort peuvent être évoquées : MORTS A LA SUITE DE SES BLESSURES, REÇUES À LA BATAILLE DE NEUVE-CHAPELLE ou MORT A LA SUITE DE SES BLESSURES, REÇUES TANDIS QU’IL COMMANDAIT SON RÉGIMENT PENDANT LA DEUXIÈME BATAILLE D’YPRES. L’origine géographique est une autre façon de personnaliser la stèle. Les noms des localités où ont vécu les soldats créent un lien entre lieux de sépulture et de naissance. La langue est aussi une façon forte de dire une appartenance. Le gaélique se retrouve sur un certain nombre de sépultures, tout comme l’hébreu (l’épitaphe inscrite au centre de l’étoile de David : Puisse mon âme reposer en paix), l’arabe et l’hindi. Le latin est également utilisé pour les formulations religieuses. Le français n’apparaît que deux fois dans le corpus de référence : A DIEU ET AU REVOIR et SANS PEUR ET SANS REPROCHE.

              Parmi l’ensemble des procédés de personnalisation, celui consistant à signer l’épitaphe est de loin le plus répandu. Cette signature peut se faire de plusieurs façons. Les membres de la famille du défunt font inscrire leur patronyme (Mr & Mrs Patterson), leurs initiales (M.B., C.H.B.,) ou simplement leur degré de parenté. Les mères, pères, épouses, enfants, sœurs et frères ont souhaité être gravés dans la pierre au-dessous du nom du défunt.

            Ces mentions nous apportent des informations biographiques sur le soldat. Suivant le pluriel, on sait s’il avait plusieurs frères et une sœur, ou l’inverse. Les oncles et tantes ont aussi droit de cité. Les diminutifs ne sont pas souvent utilisés, en raison de la solennité qu’implique le style habituel des épitaphes, mais on tombe parfois sur une formulation du genre A JAMAIS DANS LE SOUVENIR DE PAPA, MAMAN, FRANGINS ET FRANGINES, L’AMOUR DURE TOUJOURS (Ever remembered by / Dad & man bro & sis / love lasts for ever) Parfois, le terme « famille » ou « foyer » résume l’ensemble des endeuillés, le terme « amis » venant éventuellement s’ajouter. Les prénoms sont également utilisés. A JAMAIS DANS NOS PENSÉES, MAMAN, SID, FLO et ROSE. Les MARION, SARAH et autres CATHERINE viennent ponctuer certaines épitaphes. Il s’agit dans la majeure partie des cas de l’épouse. Mais la sœur ou la fiancée ont peut-être eu droit à apposer leur nom. Nous ne pouvons pas le savoir en lisant l’épitaphe, à de rares exceptions près, notamment sur cette stèle du cimetière d’Hazebrouck : AMÈREMENT REGRETTÉ PAR SA SŒUR DÉVOUÉE, CATHERINE SULLIVAN, CHARLEVILLE, COMTÉ DE CORK, IRLANDE. Une des sépultures du cimetière de Bailleul énumère l’ensemble des cinq sœurs du défunt : MARY, AMBROSE, ROSE, ADELAIDE & BLANCHE. La présence de ces prénoms féminins gravés dans la pierre a le mérite d’atténuer un peu le côté militaire et solennel inhérent à tout cimetière de guerre.

            Le nom de la ville ou du village de naissance du combattant est régulièrement mentionné. Il peut être suivi de celui des parents. Pour les fils de pasteurs, l’identification et la localisation sont souvent très précises : FILS DE FEU ISAAC DUPUIS ET D’EMMA DUVAL DE MONTRÉAL, ÉPOUX DE J.F.C. CROSBY, FILS UNIQUE DU RÉV. J.H. ET DE F.A. CROBSBY, D’ELY ou FILS AÎNÉ DU RÉV. EGERTON CORFIELD, RECTEUR DE FINCHAMPSTEAD, TOUS UNIS DANS JÉSUS-CHRIST. Mais l’origine géographique peut être mentionnée seule, sans les noms des parents ou des épouses. Perth, Brisbane, Belfast, Montréal, Silverdale, Armadale, Norwich, Newcastle on Tyne, Whitby… autant de repères, anglais, écossais, irlandais, canadiens ou australiens, qui indiquent la diversité géographique des combattants. Le quartier ou la rue sont occasionnellement précisés, comme dans cette épitaphe qui a été voulue avec un évident souci de personnalisation : CINQUIÈME FILS DE JOHN C.G. ET LIZZIE ROBINSON, MYROBELLA, BELFAST. L’adresse complète peut très occasionnellement apparaître : FILS UNIQUE BIEN-AIMÉ DE FRANK & A.E. SOUTHERN, 18 WRIGHT ST HULL. Autre exemple de personnalisation avec prénoms et patronyme des parents, ville de naissance et date de naissance : FILS DE FREDERIC ET MARY CARSLEY HAGUE, NÉ À MONTREAL, LE 23 FÉVRIER 1889. Cette autre épitaphe, d’un combattant écossais des îles Orkney, ne comporte que l’origine géographique, sans aucune autre mention, religieuse ou autre : NATIF DE FLOTTA, ORKNEY. Même chose pour la tombe du soldat E. Clifford Joscelyn : DE BRAINTREE, ESSEX.

Morbecque

Les images poétiques ne sont pas rares dans les épitaphes. Tout comme les mentions de prénoms, elles tentent d’apporter un peu de douceur et de beauté à un univers funéraire qui est par nature froid et cérémonieux : LE FLACON EST BRISÉ MAIS LE PARFUM NE S’EST PAS VOLATILISÉ ou LES CORDES DE LA HARPE SE SONT BRISÉES ALORS QUE LE CHANT NE FAISAIT QUE COMMENCER. Les poètes sont mis à contribution, comme Tennyson, qui faisait l’objet d’un véritable culte à l’époque : A TRAVERS LES BARRIÈRES SURGIT UNE LUEUR QUI NOUS DÉPASSE. Rupert Brooke, le jeune poète décédé en 1915 sur le front oriental et aussitôt devenu une gloire nationale, est également cité : IL Y A LÀ UN PETIT COIN DE TERRE ÉTANGÈRE QUI EST À JAMAIS L’ANGLETERRE.

Il est légitime de se demander quelle aurait été la teneur des épitaphes si la Commission n’avait pas exercé de censure ? On peut supposer que dans l’ensemble le choix des inscriptions aurait été le même. Face à la mort des proches, il est difficile de remettre en cause le bien-fondé de leur combat avec des commentaires rétrospectifs. Mais il est certain aussi qu’une petite partie d’entre elles n’auraient pas hésité à dénoncer la guerre, avec des propos ouvertement pacifistes. La colère et l’amertume n’ont pas pu ou pas voulu s’exprimer librement. Elles transparaissent toutefois dans certaines formulations. Sous les mots autorisés, on sent poindre un désir de dénonciation. Ainsi, le mot « sacrifice », régulièrement utilisé, peut revêtir des significations différentes. Rares sont les épitaphes sous forme de question. Mais on peut lire sur une stèle : Ô TOMBE, OÙ EST TA VICTOIRE ? Une autre délivre un message que l’on peut supposer  volontairement ambigu : SANS COMPTER LE COÛT.  Dans le cimetière d’Estaires, deux épitaphes, de styles très différents, laissent peu de doute quant à l’amertume des familles. La première, laconique, est d’une simplicité qui va droit au but : ESPOIRS BRISÉS. La seconde prend la forme d’une réflexion où la colère n’est plus dissimulée : L’INHUMANITÉ DE L’HOMME ENVERS L’HOMME OBLIGE DES CENTAINES DE MILLIERS A PLEURER. Et que penser de cette question inscrite sur une stèle du cimetière de Bailleul : SES VERTUES SONT PRÉSERVÉES AILLEURS ? L’ambiguïté de la formulation ne fait aucun doute. L’après-guerre peut aussi être pointé du doigt : NOUS NOUS SOUVENONS, MÊME SI LE MONDE OUBLIE.

L’éloignement géographique de la tombe est fréquemment mentionné, le plus souvent sous la forme d’une formulation standard : BIEN QUE TROP ÉLOIGNÉS POUR VENIR VOIR TA TOMBE, NOUS RESTONS PROCHES DE TOI PAR NOS PENSÉES ou IL DORT LOIN DE CEUX QU’IL A AIMÉS. Ce constat d’éloignement peut être interprété comme un regret ou une critique envers la décision de non-rapatriement des corps prise par la Commission. Inversement, on peut trouver à de rares occasions une satisfaction à cet éloignement : SA MÉMOIRE EST HONORÉE DANS LE PAYS QU’IL A AIMÉ.

Les épitaphes sont la marque visible du deuil intime, gravé, exprimé avec des mots choisis, appelés à durer. Ces mots nous font entrer dans la sphère familiale et créent un lien entre la terre natale et le lieu du décès. Les épouses, les pères, les mères, les frères, les soeurs, les fils, les filles et les fiancées sont présents dans les cimetières, par les mots qu’ils ont choisis de faire graver sur la sépulture de leurs proches. La lecture des épitaphes est forcément chargée d’émotion.  Comment ne pas être touché par celle du sergent J.S. Tee, mort en février 1915, à l’âge de 29 ans, et enterré au cimetière d’Estaires ? AU TRAVERS DES ANNÉES DE LARMES ET DE SOURIRE / QUELQU’UN PENSE A TOI / MARION. Marion est-elle la mère, la sœur, l’épouse ou la fiancée du sergent Tee ? Nous ne le savons pas. Il s’agit d’un simple nom de femme qui dit toute la cruauté de la perte.

Les épitaphes des sépultures britanniques racontent la douleur des familles. Elles indiquent les différentes façons de réagir au deuil et dévoilent de façon inattendue une intimité à laquelle on ne pensait pas être convié dans ce genre de lieu. Les noms ne sont plus dès lors de simples repères, ils se chargent d’une histoire personnelle qui s’esquisse devant nos yeux.

Vieux-Berquin – forêt de Nieppe

TOMMIES 14-18

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