
Cameron Wilson est tué en mars 1918 à Hermies (62). Auteur d’un poème de guerre devenu célèbre (Les Pies en Picardie), il a également écrit des lettres où il exprime sans retenue son dégoût de la guerre. |
Tout homme qui a participé à la guerre et l’encense est un dégénéré
Fils et petit-fils de pasteur, Cameron Wilson est né à Paignton, dans le Devon, en 1888, quatrième enfant d’une famille qui en comptera six. Son grand-père, Theodore Percival Wilson, avait été en son temps un romancier à succès. Après une scolarité en dents de scie, il suit des cours à Oxford en 1907 sans toutefois pouvoir intégrer un des prestigieux Colleges de l’université. Il quitte l’établissement trois ans plus tard sans diplôme et enseigne dans une école primaire. Son premier roman, The Friendly Ennemy, est publié en 1913.
Cameron Wilson s’engage en 1914 et devient sous-officier l’année suivante dans le régiment des Sherwood Foresters. Arrivé en France en février 1916, il fait partie de ces nombreux combattants qui condamnent le principe de la guerre tout en étant convaincus qu’il est de leur devoir de se battre. Son poème Des pies en Picardie est publié dans la Westminster Gazette en août 1916. C’est à cette époque qu’il est muté au Grand Quartier Général. Après avoir été promu capitaine, il repart au front et trouve la mort le 23 mars 1918 à Hermies, dans le Pas-de-Calais. Son nom est gravé sur le mémorial d’Arras à côté de 35 000 autres soldats portés disparus dans ce secteur.
L’ensemble de ses poèmes est publié en 1920 sous le titre Des pies en Picardie par le poète Harold Monro, qui était aussi son ami. Un autre ouvrage, intitulé Waste Paper Philosophy, paraît l’année suivante. Plusieurs de ses lettres ont également été publiées, notamment dans War Letters of Fallen Englishmen. Le poème éponyme du recueil Magpies in Picardy fait partie de la plupart des anthologies de poésie consacrées à la Grande Guerre. Tout comme John McCrae, Noel Hodgson, Julian Grenfell et Alan Seeger, Cameron Wilson fait partie de ces auteurs-combattants passés à la postérité pour un seul de leur poèmes. Si le style est un peu suranné, il faut toutefois reconnaître qu’il possède une originalité séduisante et un charme pastoral auquel on aurait tort de ne pas goûter. Son aspect documentaire est également à prendre en compte. Les commentaires sur la faune et la flore sont récurrents dans les témoignages britanniques de la Grande Guerre, et les oiseaux y ont une place de choix. L’image de l’alouette volant au-dessus du no man’s land est à ce titre une des petites notes incontournables des écrits de combattants. Les autres poèmes du recueil évoquent les combats, les périodes de repos et les paysages français. Si Song of Amiens et quelques autres poèmes sont des instantanés réussis de « vie française », on peut cependant déplorer des faiblesses de style à bien d’autres endroits du recueil.
Les lettres de Cameron Wilson sont moins connues mais méritent tout autant l’attention que ses poèmes. Son dégoût de la guerre y est énoncé à plusieurs reprises, en des termes plus ou moins semblables, comme s’il voulait à tout prix persuader ses proches de ne pas se laisser leurrer par les discours officiels : La guerre est incroyablement dégoûtante. Tout homme qui y a participé et l’encense est un dégénéré (Lettre de mars 1916 à sa tante). Quand on a vu un beau gars aux yeux bleus se transformer en un stupide pantin désarticulé, avec sa propre cervelle qui lui dégouline sur les yeux, comme je l’ai moi-même vu, on devient soit un pacifiste soit un dégénéré (Lettre du 27 avril 2016 à sa tante). Les corps désarticulés sont obscènes, quoique puissent écrire les correspondants de guerre. La guerre est une obscénité. Mais Dieu merci nous nous battons pour qu’il n’y ait jamais plus de guerre (Lettre du 3 mai 1916 à sa mère). Le ton est radicalement différent de celui des poèmes. La mise en parallèle des deux types d’écriture nous renseigne sur les différentes attitudes, parfois opposées, qui cohabitent chez de nombreux combattants. Pour de nombreux jeunes officiers britanniques, la poésie a été un moyen d’expression privilégié leur permettant d’une part de conserver un lien avec le monde d’avant – pour beaucoup d’entre eux l’université – et d’autre part d’échapper momentanément aux prises de position pour aboutir à une vue distanciée et multiple de la réalité combattante.
Marjorie Wilson, la soeur de Cameron, qui avait été aide-soignante bénévole pendant la guerre, publie en octobre 1918 dans le Spectator un poème intitulé A Tony, âgé de 3 ans – en mémoire de T.P.C.W. Ce type de « poème-hommage » était une façon d’honorer les soldats morts au combat en dédiant leur sacrifice aux jeunes enfants qu’ils ne verraient jamais grandir.
DES PIES EN PICARDIE Les pies de Picardie Sont plus que je ne saurais dire. Elles planent au-dessus des routes poudreuses Et ensorcellent les hommes Qui traversent la Picardie, La Picardie, prélude à l’enfer. (Le merle, farouche, s’envole au moindre bruit, L’hirondelle la lumière inlassablement suit, Les pinsons ont des allures de dame, La chouette flotte dans l’air du soir. Mais la grande et radieuse pie Vole à la manière des artistes.) Une pie, quelque part en Picardie, M’a révélé ses secrets : La musique qu’abritent ses plumes blanches, La lumière qui chante Et danse dans la profondeur des ombres. De ses ailes, elle me l’a dit. (Le faucon, cruel et austère, Toujours nous regarde du haut du ciel ; La morne corneille traîne de l’aile, Le rouge-gorge aime la bagarre ; Mais la grande pie radieuse A le vol gracieux de l’amour.) Elle m’a dit qu’en Picardie, Une génération ou deux auparavant, Quand ses pères étaient encore dans l’oeuf, Toutes ces grandes routes poussiéreuses Charriaient des soldats qui partaient à la guerre, La guerre en chantant, Le long des prés et des champs de Picardie, Prélude à l’enfer.. | MAGPIES IN PICARDY The magpies in Picardy Are more than I can tell. They flicker down the dusty roads And cast a magic spell On the men who march through Picardy, Through Picardy to Hell. (The blackbird flies with panic, The swallow goes like light, The finches move like ladies, The owl floats by at night ; But the great and flashing magpie He flies as artists might.) A magpie in Picardy Told me secret things – Of the music in white feathers, And the sunlight that sings And dances in deep shadows. He told me with his wings. (The hawk is cruel and rigid, He watches from a height ; The rook is slow and sombre, The robin loves to fight ; But the great and flashing magpie He flies as lovers might.) He told me that in Picardy, An age ago or more, While all his fathers still were eggs, These dusty highways bore Brown singing soldiers marching out Through Picardy to war. |
Lettre :
A Mrs Orpen 3 mai 1916
La guerre rend obscène la beauté naturelle de cette soirée de printemps, un peu comme si je la voyais à travers le regard d’un fou dont les critères esthétiques nient toute objectivité. Car les corps désarticulés sont obscènes, quoique que puissent écrire les correspondants de guerre. La guerre est une obscénité. Mais Dieu merci nous nous battons pour qu’il n’y ait jamais plus de guerre. Sinon, peu d’entre nous auraient le courage de continuer. Je t’en prie, apprends à tes chers petits l’horreur de la responsabilité qui pèse sur les faiseurs de guerre. J’ai un tel désir que les enfants sachent cela. On a dit aux écoliers que la « guerre » était un sujet romantique. On leur a parlé de Waterloo comme d’une belle page d’histoire, pleine de sensations romanesques. Et nous avons tous grandi imprégnés de cette poésie de guerre, qui est légitime, car il y a de la poésie en toute chose, mais ce n’est jamais qu’une part minuscule de cette grande tragédie où tout n’est que saleté. Toutes les belles phrases des écrivains de guerre, du genre « une charge héroïque balaya l’ennemi » sont dangereuses parce qu’elles ne montrent rien de l’horreur individuelle, rien de ce qui a transformé ces hommes valeureux en bêtes sanguinolentes, rien de la peur maladive qui tenaille ces braves garçons, lesquels devraient être en train de prendre du bon temps au pays… Ce n’est pas tant la mort que nous craignons que l’attente prolongée qui la précède, la vue de nos camarades oblitérés par un éclat d’obus incandescent comme l’a écrit un grand journaliste de guerre (Que Dieu lui pardonne !) qui n’hésite jamais à parler de splendides hécatombes infligées à l’ennemi à l’occasion d’une bataille ou d’une autre.