
Mort d’un héros, publié en 1928, est un portrait sans concession de l’Angleterre du début du siècle et des réalités de la guerre. Auteur à la plume acide, Aldington était poète avant de partir au front en 1917. Il restera fortement marqué par ce qu’il a vécu en France. Il écrira de nombreuses biographies, dont celle T.E. Lawrence, qui sera très controversée. |
Un homme en colère
Richard Aldington débute sa carrière littéraire en 1911 au sein du mouvement poétique des Imagistes, qui connaît son heure de gloire entre 1910 et 1917. Après avoir fait la connaissance d’Ezra Pound, le principal initiateur de ce mouvement d’avant-garde, il épouse en 1913 l’auteure américaine Hilda Doolittle, plus connue sous les initiales H.D., qui fait également partie des Imagistes. Tournant le dos au romantisme, ces poètes prônent un traitement précis de l’image, loin de toute abstraction, avec recours au vers libre. Ils sont également influencés par la littérature extrême-orientale, notamment les haïkus japonais. Le premier recueil d’Aldington, Images 1910-1915, paraît en 1915 et le deuxième, Images of War, en 1919.
En 1914, il travaille en collaboration avec Ford Madox Ford sur des ouvrages de propagande, avant d’écrire pour la revue The Egoist et de partir pour le front en 1917, au sein des Royal Sussex, en qualité de signaleur. Blessé en avril 1918, il ne se remettra jamais complètement de son expérience de guerre, souffrant pendant des années de stress post-traumatique.
Après la naissance d’un enfant mort-né en 1915, Hilda vit avec Cecil Gray, un ami de D.H. Lawrence, pendant qu’Aldington se bat en France. Elle accouche d’une fille issue de cette liaison et vers la fin de la guerre entame une relation homosexuelle avec Annie Winifred Ellerman, qui publie sous le nom de Bryther. Malgré cet imbroglio sentimental digne d’un roman à sensations, Richard Aldington ne souhaite pas rompre avec son épouse. En 1919, le couple essaie de surmonter ses difficultés mais la séparation s’avère très vite inévitable. Ils ne divorcent cependant qu’en 1938 et restent amis tout au long de leurs vies.
En 1928, Aldington quitte l’Angleterre pour s’établir en France. C’est en Provence, sur l’île de Port-Cros, qu’il écrit Death of a Hero à partir d’un premier manuscrit rédigé dix ans auparavant. Roman d’un désenchantement total et d’un humour souvent exubérant, Death of a Hero est une réussite littéraire évidente qui établira la réputation de l’auteur. Les deux premières parties retracent la jeunesse et le mariage moderne de George Winterbourne, ce qui nous vaut un portrait dévastateur de l’Angleterre du début du siècle. Les petits bourgeois et le monde de la bohème artistique font l’objet d’une satire féroce. La troisième partie est centrée sur la guerre.
Ce roman est le portrait d’une génération perdue. L’amertume peut parfois laisser supposer que l’auteur fait preuve de misanthropie, mais il s’agit avant tout de colère. Celle-ci est exprimée avec un humour ravageur, très britannique, et une verdeur de langue qui vaut à son auteur quelques problèmes avec la censure. La première publication en Angleterre a d’ailleurs été tronquée.
En 1930, Aldington publie une traduction du Décaméron et en 1933 un roman intitulé All men are enemies, qui reprend le thème de la désillusion engendrée par la Grande Guerre. En 1942, exilé aux États-Unis avec sa nouvelle épouse, Netta Patmore, il entame un cycle de biographies sur Wellington, D.H. Lawrence, Robert Louis Stevenson et T.E. Lawrence. Celle consacrée à T.E. Lawrence (immortalisé au cinéma par le film Lawrence d’Arabie) causera un scandale retentissant. Le milieu littéraire ne pardonnera jamais à Richard Aldington de s’être attaqué à la figure légendaire de Lawrence et de l’avoir en partie montré sous les traits d’un imposteur. Si par la suite les biographes et les historiens donneront raison à Aldington, l’effet du livre n’en est pas moins désastreux pour son auteur dans les années 50.
Il meurt en France, à Sury-en-Vaux, en 1962. Le Times écrit alors : Il fut un jeune homme en colère avant que ce concept ne devienne à la mode… et est resté jusqu’au bout un vieil homme en colère.
Extrait :
Je suis hanté par les aubes. Non ces aubes lointaines où je vis pour la première fois les clochers de Florence sous le ciel pur de la Toscane ou les collines de Ravello, pourpres, auréolées de brume sous l’or du ciel ; ni ces aubes où je me réveillais à côté d’un corps aimé, aux courbes délicates, l’esprit encore fiévreux de désir, les lèvres et les yeux lourds de baisers, et contemplais la lumière glisser sur les toits de Londres tandis que les moineaux du petit matin gazouillaient dans les platanes. Ce ne sont pas ces aubes-là qui me hantent, mais d’autres, tragiques et pitoyables.
Je me souviens de réveils pénibles en hiver dans des granges françaises. Il manquait toujours quelques tuiles au toit, ce qui nous permettait de pouvoir observer le scintillement morose des étoiles, et à l’aube le chatoiement stérile de la neige. Notre haleine gelait sur les couvertures et le contact de l’air nous était une angoisse.
Je suis hanté par les aubes sombres, dont certaines avaient un charme ironique, qui naissaient sur les champs de manœuvres, les aubes de brume au printemps, quand les formes indistinctes des fils barbelés ressemblaient à des ennemis qui rampaient, les aubes d’été, où le bleu profond et la fraîcheur incommensurable du ciel étaient comme un blasphème, une insulte à la misère humaine.
Mais parmi toutes ces aubes une me troubla à jamais. Tandis que les formes émergeaient petit à petit de l’obscurité et que la lente progression de la lumière en définissait les contours, de petits groupes d’hommes portant brancards à l’épaule avançaient laborieusement le long de la rue en ruines. Chaque groupe se détachait sur l’orient qui blanchissait : les casques d’acier (comme ceux portés par les soldats du Moyen-âge), les fusils en bandoulière, les corps tendus par l’effort, les cadavres qui vacillaient inutilement sous la couverture sépulcrale. Au fur et à mesure qu’ils arrivaient à leur destination, les brancardiers criaient les noms des choses qu’ils transportaient – des choses qui hier encore avaient été des vies d’homme.
CRÉPUSCULES La masse blanche du soir Se déchire écarlate, Entaillée, vidée, brûlée, Vire au cramoisi, Et flotte ironique En guirlandes de brumes. Et le vent Qui souffle des Flandres vers Londres A un goût amer. | SUNSETS The white body of the evening Is torn into scarlet, Slashed and gouged and seared Into crimson, And hung ironically With garlands of mist. And the wind Blowing over London from Flanders Has a bitter taste. |