Ralph Mottram (1883-1971)

Auteur de trois romans (trilogie de la Ferme Espagnole) centrés sur le thème des rapports entre combattants et population locale, Ralph Mottram a été agent de liaison pendant la guerre, chargé de résoudre les litiges et de répondre aux plaintes déposées pour déprédation.

La difficile cohabitation avec les civils français et belges

Après de courtes études secondaires et quelques séjours en Suisse pour parfaire son français, R.H. Mottram commence sa vie professionnelle en 1899 comme employé à la banque Gurney, à Norwich, où son père et son grand-père avaient également travaillé. Épris de littérature, il est encouragé par John Galsworthy, l’auteur de la Saga des Forsyte, à écrire des poèmes. En 1907 et 1909, il publie deux recueils sous le pseudonyme de J. Marjoram.

Quand la guerre éclate, il s’enrôle dans un bataillon du régiment de Norfolk, où il devient sous-officier. Mais son expérience du front n’est que de courte durée. Repéré pour sa maîtrise du français, il est transféré à l’arrière et devient officier de liaison. Sa mission est de s’occuper des litiges entre la population locale et les troupes britanniques. Les déprédations causées par les combattants britanniques lors des cantonnements chez l’habitant font en effet l’objet de plaintes régulières. C’est cette expérience qui servira de base à son roman La Ferme espagnole, paru en 1924. Le succès sera au rendez-vous et l’incitera à écrire deux suites : Sixty-four, Ninety-Four (1925) et The Crime at Vanderlynden’s (1926). Une adaptation cinématographique voit le jour en 1927 (Roses of Picardy). Grâce aux droits d’auteur, Mottram peut quitter son travail à la banque et se consacrer à l’écriture.

A l’âge de 44 ans, R.H. Mottram commence une carrière d’écrivain professionnel particulièrement prolifique. Il écrit des recueils de poésie, des ouvrages d’histoire locale, des romans, des récits autobiographiques et deux biographies de ses mentors : John Glasworthy et son épouse Ada. Mais aucun de ces livres n’atteindra le succès populaire et critique de sa trilogie romanesque sur la Grande Guerre. Marié pendant plus de 52 ans à Margaret Allan, avec laquelle il a eu deux fils et une fille, il meurt en 1971.

La Ferme Espagnole, publié en français en 1930, reste une œuvre à part dans la production littéraire britannique de la Première Guerre mondiale. Trilogie de romans basés sur une expérience vécue, cette œuvre nous plonge dans le quotidien des périodes de repos. Les ouvrages de combattant, mémoires ou fictions, évoquent régulièrement  les cantonnements et les rapports avec la population française ou belge mais aucun ne traite le sujet dans le détail, comme le fait Mottram.

  Les troupes britanniques présentes sur le front occidental n’étaient pas toutes en même temps dans les tranchées, loin s’en faut. En fait le nombre de combattants occupant la ligne de front ne correspondait qu’à un dixième de l’effectif total. Le reste était à l’arrière, en réserve ou en repos. La perspective du repos transformait les soldats, surtout quand ils étaient cantonnés chez l’habitant. Le contact avec des femmes, des enfants, la présence d’animaux, le spectacle du quotidien, tout cela leur permettait de réintégrer le cours normal de la vie, et si les canons résonnaient encore à l’horizon ils n’étaient plus pour quelque temps une menace directe de mort.

Si une période de repos était prévue dans un village, les officiers chargés du cantonnement s’y rendaient peu de temps avant l’arrivée de l’unité et concluaient des accords avec les habitants, qui étaient payés 5 francs par officier et 1 franc par simple soldat. Une ferme pouvait accueillir jusqu’à 200 hommes. Les contacts entre les logeurs français et les soldats britanniques n’étaient pas toujours exempts de méfiance et d’animosité. Il y avait de part et d’autre beaucoup de préjugés, surtout au début de la guerre. Les Britanniques attendaient certains égards dus au fait qu’ils venaient combattre pour la même cause que celle défendue par les Français. Les Français quant eux ressentaient parfois la présence britannique comme une invasion.  Aussi, les plaintes contre les déprédations (cultures piétinées, matériel endommagé…) et les menus larcins étaient monnaie courante. Dans chaque village de cantonnement, un officier avait pour mission de régler les éventuels litiges. Une commission spéciale siégeait à Boulogne pour statuer sur les plaintes déposées. Les récriminations des soldats britanniques avaient surtout pour objet les tarifs pratiqués par les Français pour la nourriture. Ils avaient souvent le sentiment d’être exploités. Mais ces heurts ne doivent pas nous faire oublier que les contacts entre Britanniques et Français ont été le plus souvent cordiaux. Les relations avec les Françaises sont de ce point de vue significatives. Les consignes de l’armée britannique de respecter les femmes étaient suivies par la quasi totalité des hommes. Si une idylle voyait le jour, c’était en toute liberté de part et d’autre.

En 1928, Mottram publie Ten years ago, un ensemble de textes courts qui pour la plupart étaient précédemment parus en revue. Son objectif est de porter un regard rétrospectif sur ce qu’il a vécu et de confronter l’état d’esprit de 1928 à celui des années de guerre. Constitué de réflexions libres, de nouvelles et d’essais thématiques, cet ouvrage est d’un intérêt majeur. Ce petit livre oublié n’a quasiment pas d’équivalent dans la littérature de témoignage. Débarrassé du souci d’aboutir à un récit cohérent, il nous livre des instantanés de guerre qui nous en disent parfois bien plus sur le vécu des combattants que certains longs récits autobiographiques. On y retrouve notamment, traité de différentes manières, le thème privilégié de Mottram : les relations entre civils français et combattants britanniques.

           

Le premier extrait traite d’une réalité qui n’est pas souvent abordée dans les témoignages : le chapardage. Le second, extrait de Ten years ago, évoque le Saillant d’Ypres en 1917.

TOMMIES 14-18

Fièrement propulsé par WordPress