
Fille de menuisier, Olive Dent soigne pendant deux ans les blessés à Rouen. Son témoignage n’est pas exempt d’emphase et d’exaltation patriotique mais a le mérite de la spontanéité (le livre est publié dès 1917) |
Soigner les blessés à Rouen
Publié en 1917, A V.A.D. in France n’a d’autre ambition que de témoigner du quotidien des infirmières bénévoles britanniques en France. Passionnant d’un point de vue documentaire, le livre l’est moins quant au ton utilisé, qui recourt souvent à l’émotion facile et à un patriotisme exalté parfois maladroit. Mais ce point de vue rétrospectif ne doit pas nous faire oublier que la glorification de l’héroïsme fait partie du bagage de l’infirmière bénévole, qui partage les idéaux du combattant et soutient son « combat pour la justice et la liberté face à la barbarie », du moins pour une bonne part d’entre elles.
Fille de menuisier, Olive Dent rejoint les rangs des V.A.D. au sein de l’Ambulance de Saint-Jean, suit une formation aux premiers soins et embarque pour la France avec une centaine d’autres bénévoles au cours de l’été 1915. Elle restera à Rouen pendant deux ans, dans un hôpital érigé sur le champ de courses. Les conditions sont loin d’être idéales et l’improvisation est de mise. Toutes les difficultés sont vaincues avec un enthousiasme qui ne faiblit jamais, expression d’un patriotisme qui se manifeste sans nuance tout au long de ses mémoires.
Quand les blessés arrivent à l’hôpital général n°9 où travaille Olive Dent, ils subissent un tri, qui déterminera une bonne part de leur avenir. Les médecins et infirmières doivent en effet juger si leurs blessures justifient ou non un rapatriement en Grande-Bretagne. Tous espèrent un « billet pour le pays » mais beaucoup sont soignés sur place pour pouvoir être renvoyés au front dans les meilleurs délais.
Pendant qu’elle soigne les blessés en France, Olive Dent écrit régulièrement pour les revues et les journaux, ce qui n’est pas du goût les autorités hospitalières. Dans ces textes, il lui arrive d’être très critique vis-à-vis de la hiérarchie médicale et de l’administration. Olive Dent écrit avec spontanéité. C’est à la fois le défaut et la qualité de son témoignage. Mais en définitive, l’enthousiasme et la vitalité dont fait preuve l’auteure finissent par emporter l’adhésion du lecteur.
Après la guerre, Olive Dent entamera une brève carrière de journaliste.
Extraits de A V.A.D. in France :
Dans le premier extrait, Olive Dent ne recule devant aucune emphase pour glorifier les combattants, et par la même occasion le travail du personnel soignant. Le second relate l’arrivée des premiers blessés de la Somme, en juillet 1916.
1er extrait :
Comment le sacrifice de ces vies peut-il être qualifié de gâchis ? Est-ce un gâchis pour ces hommes de se battre, de souffrir, et de mourir pour ce en quoi ils croient, leur liberté, leurs idéaux et le bien-être de ceux qui leur sont chers ? Dieu a fait l’homme a son image, un peu au-dessous des anges. J’ai à nouveau pu l’attester aujourd’hui. Ces dernières heures, j’ai pu observer que l’homme est capable d’atteindre des hauteurs quasi divines et de fouler les royaumes insoupçonnés du sublime.
Le compte rendu des combats du jour, qui nous est fait par ceux-là mêmes qui les ont vécus, et les nombreux petits incidents dont nous avons été témoins, nous ont montré que si la guerre peut être un grand gâchis elle peut aussi avoir un effet purificateur. Elle révèle des trésors inouïs de vaillance, de sacrifice, de patience et d’endurance. Tout cela ne compte-t-il pas ?
Aujourd’hui, j’ai surpris des bribes de conversation. J’ai vu les blessés faire preuve les uns envers les autres de gentillesse et de prévenance. Leur esprit de sacrifice force le respect. La guerre peut être le temps et le lieu de la brutalité, de la bestialité, de l’absence diabolique de tout scrupule et de la destruction, mais aujourd’hui j’ai vu de la force d’âme, de la dévotion et de l’abnégation.
Comme je suis heureuse d’avoir vécu cette journée ! C’est un privilège de pouvoir subir les sensations les plus diverses. La douleur passera, toute douleur finit pas cesser, mais à tout jamais me restera le souvenir d’une noblesse et d’une élévation d’âme proches du divin. Tout cela fait de nous des femmes meilleures, nourrit notre compassion et donne une forme à nos idéaux, ainsi qu’une lumière à nos âmes.
2nd extrait :
Nous savions à quoi nous attendre. Pendant des jours entiers, nous avions entendu le bruit de la canonnade. Aussi, quand l’ordonnance vint nous réveiller à six heures un matin et nous annonça que tout le monde devait être prêt aussi vite que possible, aucune d’entre nous ne fut surprise.
Après une toilette et un petit-déjeuner rapides, je pus constater que le temps était magnifique, avec de glorieux rayons de soleil qui irradiaient l’ensemble du camp. Sur les côtés, la toile des tentes avait été relevée, comme d’habitude, si bien que les pavillons se résumaient à un sol et un plafond.
Il y avait des blessés partout. Toute une fournée de blessés légers avaient été regroupés sous une grande tente. Les ambulances en attente à l’arrière déversaient en continu leur cargaison de grands blessés. Certains étaient transportés sur des civières, d’autres portés à dos d’infirmiers, d’autres encore acheminés sur des « sièges à quatre mains ». Il y en avait aussi qui rejoignaient tant bien que mal les pavillons en s’appuyant sur des cannes.
Les uniformes furent déchirés pour libérer les jambes et les bras fracturés. Les bottes furent retirées et remplacées par de grandes pantoufles de toile ou des bandages. Des têtes furent emmaillotées et des mâchoires maintenues fermées avec des bandeaux. Tous les pansements étaient souillés de sang et de terre. Presque chaque blessé était maculé d’argile, les cheveux mêlés de poussière jaune, le visage recouvert d’une couche terreuse où la moustache était prisonnière.
Le premier groupe de blessés fut nourri, lavé et habillé de pyjamas propres avant de recevoir le tant convoité « billet pour le pays ». Les visages exprimaient un contentement proche de la félicité.
Tout le monde s’attela à la tâche sans se ménager. Seule la fatigue nous fit penser à un moment donné que nous avions faim. Des lits-tréteaux avec paillasses, que les soldats appelaient des « déjeuners de baudet », avaient été installés dans les pavillons. La tente pour les services religieux et celle on l’on stockait les vivres avaient été réquisitionnées, tout comme la hutte de la Y.M.C.A. De nouvelles tentes indiennes poussaient aussi vite que des champignons. Elles accueillaient les blessés légers, qui, heureusement, étaient majoritaires.
Chacun mit la main à la pâte avec ce magnifique enthousiasme qu’ont les Britanniques quand ils sont confrontés à la difficulté. Les différences de grade étaient oubliées. Chaque action que nos mains réalisèrent en ce jour mémorable, et pendant les quatre qui suivirent, fut accomplie avec une implication totale. Notre colonel et le major retirèrent leur tunique et nous aidèrent à couper le pain et beurrer des tartines pour les blessés qui arrivaient.