
Des témoignages inédits sont régulièrement exhumés. We who knew est publié en 1994 par le fils de Matthew Cooper. De février 1916 à novembre 1918, Matthew Cooper se bat sur le front occidental, principalement dans les Flandres. Après la guerre, il décide de rester dans l’armée. |
Dans le no man’s land
Écrit juste après l’Armistice, sur la base de notes prises dans les tranchées et de souvenirs encore bien présents en mémoire, We who Knew fait partie de ces « journaux de bord » que les combattants ont rédigés dans le simple but de laisser une trace précise et documentée de leur vécu de guerre. L’auteur ne destinait pas ces pages à la publication. C’est son fils qui les a publiées en 1994, plus de vingt ans après la mort de son père. Régulièrement, des témoignages inédits paraissent en Grande-Bretagne, sous la forme de journaux de bord, de correspondances ou de récits écrits longtemps après la guerre. Ces documents sont très différents les uns des autres et témoignent de la grande diversité de la littérature de témoignage britannique. Dans la forme aussi bien que dans le ton, le journal de Matthew Cooper s’oppose par exemple aux mémoires de Norman Cliff, autre inédit publié six ans auparavant. Ecrit en 1921, ce journal s’attache à décrire la réalité de la guerre sans commentaires superflus, comme l’indique la note liminaire de l’auteur : J’ai écrit ces pages pour m’aider à me remémorer ces années tragiques et importantes qui m’ont fortement marqué et dont l’influence sera toujours présente.
Le souci premier de Matthew Cooper est de décrire le plus précisément possible ce qu’il a vécu et de le replacer dans un contexte chronologique. Les courts chapitres sont centrés sur un événement ou un thème unique, qui est exploité exhaustivement et peut avoir valeur d’exemple. On a parfois l’impression de lire un compte rendu d’une neutralité exemplaire, comme s’il s’agissait d’expliquer sans prise de position ce qu’est la vie quotidienne dans les tranchées. La dénonciation de l’horreur de la guerre n’est pas le propos. Elle apparaît cependant en filigrane.
Matthew Cooper est né à Dublin en 1892 dans une famille protestante anglaise. Ses résultats scolaires n’étant pas satisfaisants, son père, un avocat réputé, lui trouve un poste d’employé de banque en 1908. En septembre 1914, il n’hésite pas à se porter volontaire, quittant sans regret son emploi bancaire et l’influence de sa famille. Après un entraînement dans différentes casernes irlandaises, il est promu sous-lieutenant dans le 8th Royal Inniskilling Fusiliers, avant de rejoindre les camps de Woking, puis de Bordon, en Angleterre. Quand il apprend que sa brigade va bientôt être envoyée en France, Matthew Cooper fait venir sa fiancée d’Irlande. Ils se marient le 22 janvier 1916.
De février 1916 à novembre 1918, Matthew Cooper se bat sur le front occidental, principalement dans les Flandres. Après la guerre, il décide de rester dans l’armée. Il est notamment envoyé en Silésie, en 1921. Il prend sa retraite d’officier en 1937 mais est appelé à reprendre du service en 1939. Ses deux fils ont poursuivi une carrière militaire.
L’extrait qui suit décrit une des réalités qui ont le plus marqué les combattants : les patrouilles dans le no man’s land, dont le but était principalement la recherche de renseignements sur les éventuels mouvements de l’ennemi.
Extrait :
PATROUILLES DE NUIT
Chaque nuit, un officier prenait trois ou quatre hommes avec lui pour partir en reconnaissance dans le no man’s land. Le but était habituellement d’observer l’état du réseau de barbelés ennemi et de s’assurer qu’une équipe ne préparait pas un coup de main surprise. Nos patrouilles devaient progresser avec précaution. Nous rampions pour éviter d’être repérés. Il fallait aussi essayer de ne pas tomber sur une patrouille ennemie envoyée dans un but identique au nôtre. Une nuit, alors que l’aube allait poindre sous peu, un membre de ma patrouille fut tué le long des barbelés allemands. Comme nous savions qu’on nous avait repérés, il était inutile d’essayer d’emmener le corps. Il fallait attendre la nuit suivante.
Nous étions presque toujours mouillés jusqu’aux os au retour d’une patrouille. Les hautes herbes et les trous d’obus gorgés d’eau en étaient la cause. Malgré cela, il nous suffisait d’une bonne rasade de rhum pour que nous nous endormions aussitôt. Quelques heures plus tard, lorsque nous devions prendre notre tour de garde nous étions encore trempés mais cela ne nous indisposait pas vraiment.
Les patrouilles ennemies et les coups de main nocturnes nous obligeaient à être sur le qui-vive en permanence. En règle générale, quatre ou cinq groupes de guetteurs étaient disposés le long du secteur occupé par la compagnie. Deux hommes de chaque groupe étaient en faction pendant que les autres essayaient de dormir un peu dans une petite guérite. L’officier de garde allait et venait, s’arrêtait quelques minutes auprès de chaque guetteur, montait à l’échelle et scrutait l’espace inconnu qui s’étalait devant nous. S’il suspectait un mouvement de la part de l’ennemi, il lançait une fusée éclairante pour vérification. La manœuvre se répétait tout au long de la nuit sur fond d’échanges intermittents de volées de mitrailleuses. Parfois, un des guetteurs était atteint par une balle perdue, mais cela n’arrivait que si l’homme en faction avait manqué de prudence et de vivacité.
Un soir où j’étais de garde, une patrouille m’informa à son retour que l’ennemi se regroupait dans le no man’s land. Ils en avaient compté une cinquantaine qui sortaient de la tranchée et se positionnaient en rang devant le réseau de barbelés. Je courus le long de mon secteur pour donner l’ordre à mes hommes de se tenir en alerte. Puis je courus prévenir le poste de commandement de la compagnie. L’officier qui avait la charge des mortiers buvait du thé dans son abri. Il réagit avec une vitesse remarquable et rendit immédiatement opérationnels ses six mortiers. Pendant ce temps, je téléphonai pour demander le soutien de l’artillerie. Tous les fusils et les mitrailleuses étaient maintenant en action, soutenus par les salves tonitruantes des mortiers qui s’en allaient exploser sur les barbelés.
Dans la lumière déclinante, nous ne discernions que les silhouettes sombres des soldats ennemis qui fuyaient notre feu meurtrier et essayaient de regagner leur ligne. Au même moment, la première salve de six obus tirés par notre artillerie siffla au-dessus de nos têtes et les projectiles s’écrasèrent sur l’infanterie ennemie. Jamais auparavant, je n’avais entendu des tirs aussi rapides et je crois bien que peu d’Allemands ont pu regagner leur ligne de front sans dommage. Nos hommes laissèrent alors éclater leur joie. L’ennemi était sans conteste sur le point de lancer un coup de main car très vite notre tranchée essuya un tir de barrage qui indiquait que leurs artilleurs ne connaissaient pas le sort de leur équipe et s’en tenaient à leur plan initial, qui était d’isoler notre portion de tranchée. La vigilance de notre patrouille avait eu pour résultat le quasi anéantissement du coup de main de l’ennemi avant même que celui-ci ait pu réellement se déployer.
Un duel d’artillerie était maintenant engagé et pendant quelques heures nous fûmes malmenés. Mais finalement, grâce au téléphone, nos appels urgents obtinrent satisfaction et nos « lourdes » entrèrent en action, assurant notre supériorité de feu. Comme souvent, nous eûmes le dernier mot et l’ennemi fut contraint au silence.