
Après avoir soigné les blessés pendant la guerre des Balkans, Mabel St Clair Stobart rejoint la côte belge en 1914, puis un hôpital à Cherbourg avant de partir en Serbie. Un exemple parmi tant d’autres du courage et du dévouement des soignantes britanniques qui ont œuvré sur différents fronts. |
De la Belgique à la Serbie en passant par la Normandie
En septembre 1915, Mabel St Clair Stobart part pour la Serbie à la tête d’une ambulance britannique exclusivement féminine. Elle a alors 53 ans. Si cette figure du féminisme, par ailleurs auteure, est aujourd’hui un peu oubliée en Grande-Bretagne, son souvenir persiste en Serbie, où son nom est synonyme d’héroïsme.
Née Mabel Boulton en 1862 dans une famille aisée, elle épouse St Clair Kelburn Stobart en 1884. Après la naissance de deux fils, le couple part en Afrique du Sud mais suite à l’échec de leur exploitation agricole, Mabel retourne en Angleterre en 1907. Son mari la suit l’année suivante, mais il meurt pendant la traversée.
Féministe convaincue, elle est persuadée que les femmes peuvent être aussi utiles que les hommes en temps de guerre. Elle rejoint la récente Association d’aide aux premiers soins, composée de femmes. En désaccord avec le fonctionnement de l’organisation, elle décide de créer en 1910 le Convoi féminin d’aide au blessés et malades. A la tête d’une équipe de 50 femmes, elle organise des camps d’entraînement pour simuler l’évacuation de blessés en première ligne. Vêtues d’un uniforme, les participantes dorment sous la tente, font de longues marches et sont astreintes à la même discipline que les soldats.
En mars 1911, Mabel se remarie avec un avocat à la retraite, John Greenhalgh. Quand éclate la guerre des Balkans, en octobre 1912, elle propose les services de son organisation à la Croix-Rouge. Mais Sir Frederick Treves, le président de la Croix-Rouge britannique, décline son offre, estimant que des femmes ne sont pas à la hauteur pour ce genre de mission. Loin d’être découragée par ce refus, Mabel persiste dans son projet et part pour les Balkans pour y créer un hôpital en Bulgarie. Les fonds proviennent d’amis fortunés. Le Convoi féminin travaille dans des conditions extrêmes et rend d’inestimables services aux organisations sanitaires locales jusqu’au printemps 1913, date de la fin du conflit.
Quand la Grande Guerre est déclarée, elle forme une nouvelle structure : La Ligue du Service National des Femmes. Mais la Croix-Rouge refuse à nouveau son aide, les femmes étant jugées indésirables à proximité du front. Mabel St Clair Stobart ne tient compte de cette décision et part immédiatement pour la Belgique. Arrêtée par les Allemands à Hasselt, elle est condamnée à mort pour espionnage mais parvient à s’échapper. Après un bref retour en Angleterre, elle revient sur la côte belge et y dirige un hôpital à Anvers. Mais l’avancée allemande l’oblige à quitter la Belgique. Soutenue désormais par la Croix-Rouge britannique, elle rejoint Cherbourg pour s’occuper d’un hôpital militaire. Son affectation sera de courte durée car elle souhaite repartir en Serbie, où les besoins en aide sanitaire se font cruellement sentir. Son mari l’accompagne en qualité de trésorier de l’équipe médicale.
L’équipe de Mabel St Clair Stobart dirige un hôpital de campagne anglo-serbe à Kragujevatz, au sud de Belgrade. Mais en novembre, suite à la retraite de l’armée serbe, elle est obligée d’évacuer en Albanie, en compagnie de centaines de milliers de civils. Des milliers de réfugiés mourront de faim ou de maladie pendant les dix semaines du périple. Mabel St Clair Stobart sera décorée par l’armée serbe pour sa détermination et son courage au cours de cette épreuve.
De retour en Grande-Bretagne, elle écrit et donne des conférences sur son expérience de guerre. Elle voyage au Canada et en Irlande pour le ministère de l’information et verse les honoraires de ses prestations à la Croix-Rouge serbe.
Au lendemain de la guerre, elle se tourne vers le spiritisme, suite à la perte de ses deux fils, victimes de la grippe espagnole. Elle organise des séances et publie des ouvrages sur le sujet, tout comme Conan Doyle, l’auteur de Sherlock Holmes, lequel a également perdu un fils dans l’épidémie de 1918. Elle cherche à rapprocher le spiritisme des valeurs chrétiennes, et développera ce thème dans son autobiographie, Miracles and Adventures, parue en 1936.
Après une longue vie d’aventures et d’engagement, Mabel St Clair Stobart meurt en décembre 1954.
[Extrait de Flaming sword in Serbia and elsewhere]
Si ce livre a un quelconque intérêt, celui-ci ne repose pas seulement sur mon expérience personnelle mais sur les effets que celle-ci a eu sur les opinions d’une femme qui est probablement représentative d’autres femmes de son siècle.
Je crois que l’humanité se trouve à la croisée des chemins. L’un d’entre eux mène à une évolution, de nature spirituelle, l’autre est une régression qui s’inscrit dans la droite lignée du matérialisme. Le militarisme est un mouvement rétrograde, une impasse pour l’humanité.
Je crois que le militarisme ne peut être détruit qu’avec l’aide des femmes. Il est particulièrement actif dans les pays où la femme n’a pas voix au chapitre. Le militarisme n’est jamais que de la virilité dévoyée.
(…)
Nous sommes arrivées à Anvers sous l’égide de l’Ambulance de Saint-Jean et avons établi notre unité de soins dans le grand hall d’été, rue de l’Harmonie.
Après trois semaines passées à soigner les reliquats d’humanité brisés et mutilés qui nous étaient amenés des tranchées tout au long de la journée, nous avons été bombardées par les Allemands. Pendant plus de dix heures nous avons été soumises au feu de l’ennemi et j’ai pu observer la réaction des femmes, que rien n’avait préparé à ce genre de situation. Elles ne prêtaient aucune attention aux obus qui sifflaient au-dessus de nos têtes à la cadence de quatre par minute et semaient le chaos tout autour de nous dans un bruit de tonnerre assourdissant.
Elles ont secouru les blessés et les ont transportés sans céder à la panique, sur des civières, ou sur leur dos quand il n’y en avait pas, comme si elles étaient à la parade dans Hyde Park. Nous avons sauvé des blessés mais nous n’avons trouvé aucune trace de gloire dans les scènes de désolation auxquelles nous avons assisté : les obus meurtriers qui tombaient au hasard un peu partout, la belle cité d’Anvers en flammes, ses paisibles citoyens, femmes et enfants, obligés de quitter leurs maisons et de partir vers l’inconnu. La seule gloire que j’ai pu voir fut celle de l’armement de l’ennemi : de meilleurs canons, supérieurs aux nôtres.