
Australienne issue de parents irlandais, Louise Mack vit à Londres et à Florence après son mariage. Elle publie des romans sentimentaux et écrit des articles pour les journaux. Elle part en Belgique en 1914 et devient la première correspondante de guerre pour la presse britannique. Son témoignage, A Woman’s Experiences in the Great War, est bien celui d’une femme de lettres, avec de nombreuses anecdotes croquées sur le vif. |
La première correspondante de guerre
Née à Port Adelaide, de parents irlandais, Louise Mack est l’aînée d’une fratrie de treize enfants. Son père, prêtre méthodiste, change régulièrement de paroisse, ce qui oblige la famille à d’incessants déménagements. Finalement installés à Sydney, Hans et Jemima Mack donnent à leurs enfants une éducation à domicile jusqu’à l’âge du collège. Au lycée pour filles de Sydney, Louise écrit pour le journal de l’établissement. Après avoir travaillé comme gouvernante, elle contribue au Bulletin et épouse John Percy Creed, un avocat de Dublin, en 1896. La même année, elle publie son premier roman, The World is Round.
Le couple part s’installer à Londres et connaît de grandes difficultés financières. Louise Mack écrit An Australian Girl in London (1902), qui reçoit de bonnes critiques. Elle devient journaliste au Daily Mail tout en écrivant des romans sous forme de feuilletons pour des revues. Ces romances faciles lui permettent de gagner beaucoup d’argent, qu’elle dépense aussitôt. Elle se rend régulièrement sur le continent, publie d’autres romans populaires et part vivre à Florence, où elle restera six ans. Elle y éditera The Italian Gazette.
De retour en Angleterre en 1914, elle part en Belgique, où elle sera la première femme à exercer le métier de correspondant de guerre, pour le Evening News et le Daily Mail. Le récit de son expédition belge et de l’invasion d’Anvers par les Allemands est publié en 1915 sous le titre A Woman’s Experiences in the Great War. En 1916, elle repart en Australie, où pendant deux ans elle sillonne le pays pour donner une série de conférences sur son expérience de guerre et récolter de l’argent pour la Croix-Rouge.
Au début des années 20, elle entame une nouvelle tournée de conférences en Nouvelle-Zélande et dans les îles du Pacifique. Elle parcourt également l’Australie dans le cadre d’un programme éducatif gouvernemental visant à éveiller le désir de connaissances géographiques chez les élèves.
En 1924, veuve depuis dix ans, elle épouse à 54 ans un Néo-Zélandais de 21 ans son cadet. Elle poursuit ses activités de journaliste indépendante et publie deux autres romans avant de mourir en 1935.
Louise Mack a vécu une vie placée sous le signe de l’aventure et de l’insécurité financière. Extravertie, audacieuse, sans plan de carrière, elle a su vivre au gré de ses impulsions. Ces traits de caractère se retrouvent dans A Woman’s Experiences in the Great War, qui en plus de constituer un document intéressant sur le début de la guerre en Belgique regorge de scènes écrites avec une spontanéité touchante, où l’anecdote a valeur de symbole. La rencontre d’un jeune couple d’amoureux, décrite dans l’extrait ci-après, est caractéristique de cette légèreté de ton qui sait dire mieux qu’une longue analyse des choses essentielles sur la guerre, aussi bien du point de vue des civils que des combattants.
Amy Eleanor Mack, une des soeurs de Louise, était également une femme de lettres. Après avoir publié des essais et des livres pour enfants avant la guerre, elle part pour la Grande-Bretagne avec son mari, Lancelot Harrison, qui après avoir été une première fois refusé dans l’armée, est nommé conseiller entomologiste auprès du contingent britannique en Mésopotamie. Son travail sur les maladies transmises par les insectes a sauvé de nombreuses vies. Pendant ce temps, Amy Eleanor travaille dans les services de communication des ministères des munitions et de l’alimentation
Gertrude Mack, autre soeur de Louise, a également publié des recueils de nouvelles qui ont connu un grand succès.
Extrait :
En sortant de la gare, je tombe sur deux dames, une jeune et une d’âge mûr, vêtues de fourrures. M’approchant d’elles, je les entends demander à une sentinelle le chemin de l’hôtel de Noble Rose. Usant de cette cordialité spontanée qui est de mise en temps de guerre, je leur demande si je peux les accompagner, après avoir précisé que j’étais Anglaise.
« Avec beaucoup de plaisir, » (1) répondent-elles en choeur.
(1) En français dans le texte.
« Nous arrivons de Folkestone, explique la plus jeune dans un anglais sommaire tandis que nous avançons dans la nuit noire. Mais, ah, quelle expédition ! »
Tandis que les canons tonnent furieusement à moins de dix kilomètres, elles me racontent leur « petite histoire. »
C’est l’histoire d’une fiancée de Bruxelles venue rejoindre son futur mari. Avec un entêtement de chaque instant, elle a réussi à persuader sa mère de l’accompagner dans ce long voyage : Bruxelles, Anvers, la Hollande, Flushing, Folkestone, Calais, Dunkerque et finalement le front, où se trouve son fiancé soldat. Il a été blessé. Mais il va mieux. Il lui avait sans cesse répété : « Non ! Ne viens pas. » Mais finalement, il avait cédé et lui avait dit : « Viens ! »
Elle est si jolie, si simple, si douce, si « petite fille », et la mère un spécimen si parfait de mère poule, que je tombe amoureuse de l’un comme de l’autre.
Les voilà qui sortent de la cérémonie.
Maintenant, ils sont assis à nos côtés, les chers agneaux, main dans la main, et leurs jeunes visages sont presque trop sacrés pour que je les regarde, la joie qui les illumine trop intense.
Ils n’arrêtent pas de sourire, leurs yeux se rencontrent avec la grâce de vagues qui viennent mourir sur une plage d’été. Chacune de leurs phrases se termine par un petit rire.
C’est maintenant l’heure du repas, et ils m’invitent à partager leur table. Ils commandent du vin rouge, j’en prends aussi, je ne suis plus une étrangère mais une ancienne amie. Je suis associée à ce bonheur, qui est autant le mien que le leur parce qu’ils s’aiment et qu’ils aiment le monde entier.
La mère me chuchote : « Il va être si content quand il va apprendre qu’il y a un petit en route. »
Le bruit vorace des canons ne cesse pas, témoignant de la lutte sauvage et passionnée entre les Alliés et les Allemands, qui bientôt – que Dieu dans sa grande clémence ne le permette pas – pourraient auréolerce garçon blond de gloire posthume, laissant derrière lui un orphelin.
Ah, quel héritage aura l’enfant !
Et puis, tout à coup, je me mets à penser : Qui ne serait pas heureux et fier de naître dans des circonstances aussi épiques ? Commencer sa vie baigné dans cette atmosphère d’héroïsme, où tout ce qui est banal a été aboli.
Jamais dans l’histoire du monde il n’y a eu autant de mariages que maintenant. Partout, des filles et des garçons s’unissent. Ils n’hésitent plus, ne réfléchissent plus. Ils se précipitent dans les bras l’un de l’autre avec passion.
« Jusqu’à ce que la mort nous sépare ! » chantent ces milliers de jeunes voix pleines de courage.
Il me semble que jamais dans l’histoire de ce monde si vieux l’amour n’a été aussi fort qu’aujourd’hui. Chaque future épouse est une héroïne qui épouse un héros ! Ils s’agrippent ensemble au bonheur. Ils découvrent ce que les philosophes ont mis tant de temps à nous enseigner, à savoir que la vie est « passagère », et ils ont peur que les précieux moments s’envolent à tout jamais.
Mais ce n’est pas tout.
Il y a autre chose derrière tout cela, quelque chose qui est tout aussi beau, bien que moins personnel.
Il y a la race qui cherche à survivre.
La génération qui vient sera magnifique, car engendrée dans des circonstances glorieuses, et bénéficiant du plus beau des héritages : l’amour, le patriotisme, le courage, la dévotion, le sacrifice, la mort et la gloire !
Une semaine après cette rencontre près du front, je suis tombée à Dunkerque sur la mère poule qui attendait devant la grande église grise, sous la lumière déclinante du soir.
Elle était devenue sombre, la pauvre âme, un nuage assombrissait son doux visage, ses yeux noirs si tendres et ses délicates lèvres.
« Il a été envoyé dans les tranchées près d’Ypres, » a-t-elle murmuré avec tristesse.
« Et votre fille ? »
« Chut ! Elle arrive. Mon ange, qui a le coeur d’un lion. Elle est allée à l’église pour prier. Elle n’a pas voulu que je l’accompagne. »
De nos trois visages, c’est celui de la jeune mariée qui reste le plus lumineux.
Elle a changé, bien sûr.
Elle ne regarde plus son bonheur avec des yeux émerveillés.
Mais l’illumination du grand amour est toujours là, rendue deux fois plus belle par le fait de savoir que son bien-aimé est de l’autre côté de ces dunes de sable, sous le feu des obus, et que le temps est venu pour elle de se comporter avec noblesse comme doit le faire une femme de soldat, pour l’honneur de son mari et pour le petit qui va naître.
« Même s’il tombe sur le champ de bataille, me dit-elle calmement, avec ce petit sourire plein de courage qui tremble sur ses lèvres, il me laisse un enfant qui lui survivra… son enfant ! »
De nous trois, c’est elle, la plus jeune et la plus durement éprouvée, qui semble avoir la prise la plus solide sur la vie, le présent et l’avenir.