Lord Dunsany (1878-1957)

Auteur d’un classique de la fantasy, La Fille du roi des elfes, le baron de Dunsany est une personnalité éclectique aux multiples activités. Il est présent sur le front occidental pendant toute l’année 1917. De son expérience combattante, il tire une série de textes courts qui tiennent parfois du conte. Vue sous cet angle, la guerre prend une dimension inédite.

        

    La guerre sous le regard d’un maître de la fantasy

Auteur de plus de quatre-vingt romans, pièces de théâtre, recueils de nouvelles et de poésie, Edward Plunkett, dix-huitième baron de Dunsany, est un des grands noms de la fantasy moderne. Son roman La fille du roi des elfes (1924), est considéré comme une des œuvres fondatrices du genre.

            Après des études à Eton et à l’Académie royale militaire de Sandhurst, il participe à la seconde guerre des Boers au sein des Coldstream Guards. A la mort de son père, en 1899, il devient baron de Dunsany, et partage désormais son temps entre ses deux propriétés, en Angleterre et en Irlande. Féru de chasse, grand voyageur, champion d’Irlande de tir au pistolet et d’échecs, Lord Dunsany s’est découvert très tôt une passion pour la littérature fantastique. Ses premiers contes, Les Dieux de Pagana, sont publiés en 1905. Ses publications et son implication dans le mouvement de la renaissance celtique, aux côtés notamment de W.B. Yeats et Lady Gregory, font de lui une des figures majeures des lettres irlandaises du début du siècle. En septembre 1915, il intègre le 5e bataillon des Royal Inniskilling Fusiliers à la caserne Richmond de Dublin. Transféré ensuite dans un bataillon de réserve à Londonderry, il attend d’être envoyé en France. C’est pendant une permission à son château de Tara que la rébellion nationaliste éclate dans la capitale irlandaise. Il se rend sur place et reçoit une balle à la tête. Soigné à l’hôpital George V, il peut entendre de son lit les combats de rues, qui aboutissent quelques jours plus tard à la victoire des forces britanniques sur les nationalistes irlandais. Après un mois de convalescence, il repart à la caserne Ebrington, à Londonderry.

            Si cet épisode dublinois est largement relaté dans son autobiographie, son parcours de combattant en France est quant à lui à peine esquissé. Dunsany mentionne simplement qu’en janvier 1917, stimulé par les bombardements, il écrit deux poèmes au bois de Plug-Street (Ploegsteert). Il reste dans ce secteur du front jusqu’en septembre avant d’être envoyé dans la Somme, à Ervillers puis à Péronne. Les lettres qu’il envoie à sa femme contiennent peu d’informations sur les combats. Une lettre d’octobre 1917 postée à Amiens aborde cependant le sujet : En vrai, le voyage que j’ai fait ce matin, je crois bien qu’aucun être humain ne l’ait entrepris récemment. Imagine Waterloo, Sébastopol, Ladysmith, Pompéi, Troie, Tilgad, Tel el Kebir, Sodome et Gomorrhe se succédant et se fondant l’un dans l’autre ; des arbres fantomatiques, tordus, dépouillés, qui se penchent sur les tombes ; des scènes proches de la Crucifixion de Doré et des réalités comme on n’en voit que dans les pires cauchemars ; des chars abandonnés, comme autant de rhinocéros à l’agonie, dont le canon continue de pointer vers des ennemis depuis longtemps disparus, éparpillés en morceaux.

            Lord Dunsany quitte le sol français au début de l’année 1918 et intègre le service de renseignements du ministère de la guerre, le MI7. Il travaille dans la section B spécialisée dans la propagande. L’objectif des auteurs rassemblés dans le service est de veiller au moral des troupes tout en essayant de miner celui de l’ennemi. C’est dans le cadre de ce travail que Dunsany écrit toute une série de textes courts qui seront publiés dans les journaux de différents pays. Bon nombre d’entre eux seront regroupés et publiés en 1918 et 1919 sous les titres Tales of War et Unhappy Far-Off things. Quand le MI7 est démantelé, il rejoint le 3e bataillon des Inniskilling en Cornouaille mais considérant qu’il n’y est d’aucune utilité, il ne tarde pas rentrer chez lui, même s’il n’est pas encore officiellement démobilisé. En juin 1919, il passe quelques semaines en Rhénanie avec l’armée américaine.

            Dunsany peut désormais reprendre le cours de sa vie aristocratique et se consacrer à l’écriture. Avec La fille du roi des elfes, publié en 1924, il atteint le sommet du genre qu’il a toujours privilégié : le fantastique. Les deux volumes regroupant ses écrits de guerre tomberont dans l’oubli et seront taxés de propagande. Leur lecture nous dit pourtant bien d’autres choses. Hormis quelques attaques en règle contre le kaiser, le propos est nuancé. Et surtout leur forme est inédite dans le corpus des écrits de guerre. La plupart de ces textes sont des contes où l’auteur recourt au style qui lui est cher. L’approche géographique des zones de guerre dévastées est originale et nous faite découvrir « le pays de la guerre » et ses nouvelles frontières sous un jour inhabituel. Les villages qui n’existent plus, les no man’s land piégés, la persistance de la nature au milieu de la dévastation nourriront ses œuvres fantastiques de l’après-guerre, sans que toutefois le lien ne soit jamais clairement identifié. Comme dans le cas de Tolkien, les marques laissées par la guerre sont présentes en sous-texte et teintent d’amertume les pays enchantés qu’il donne à explorer dans La Fille du Roi des Elfes et ses autres romans.

TOMMIES 14-18

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