
Conservateur de musée, spécialiste des arts orientaux, Laurence Binyon part soigner les blessés français à Arc-en-Barrois. For the Fallen est devenu le poème officiel des célébrations de l’Armistice. |
« A chaque crépuscule et à chaque aube qui blanchit le ciel, nous nous souviendrons d’eux «
La quatrième strophe du poème a été choisie pour célébrer la mémoire des morts britanniques de 14-18. Depuis plus de 100 ans, on la récite à l’occasion du Jour du souvenir, en Grande-Bretagne, au Canada, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Dans ces différents pays, le Jour du Souvenir correspond soit au 11 novembre férié, soit au dimanche le plus proche de cette date, soit au 25 avril (Anzac Day) dans le cas de l’Australie et de la Nouvelle-Zélande. Si la quatrième strophe, et aussi parfois la troisième, du poème de Binyon a été choisie pour commémorer les morts, c’est essentiellement en raison de son style classique, qui sait être élégiaque tout en restant simple dans sa formulation.
Né à Lancaster dans une famille de Quakers, Laurence Binyon étudie à la prestigieuse école St Paul de Londres avant de rejoindre Trinity College à Oxford, où il décroche un prix de poésie en 1891. Après l’université, il travaille au département des imprimés du British Museum. En 1895, il écrit une étude sur les graveurs à l’eau-forte du XVIIe siècle hollandais. Devenu assistant conservateur en 1909, il est promu conservateur du département des imprimés et dessins orientaux en 1913. Proche du mouvement des poètes imagistes, il fait découvrir à ces derniers l’art et la littérature d’Extrême-Orient. Spécialiste incontesté des arts visuels orientaux, il n’en délaisse pas pour autant la poésie. Marié en 1904 à Cicely Margaret Powell, historienne, avec laquelle il aura trois filles, Laurence Binyon est une figure importante des cercles littéraires et artistiques de la capitale à la veille de la guerre.
L’entrée en guerre de la Grande-Bretagne et le grand nombre de victimes pendant les premières semaines du conflit le poussent à écrire son célèbre poème, For the Fallen, qui sera publié dans le Times en septembre. En 1915, il souhaite s’engager mais comme il est trop âgé il se porte volontaire pour soigner les blessés français à l’hôpital temporaire d’Arc-en-Barrois, en Haute-Marne. En 1918, il publie un livre sur cette expérience : For Dauntless France. Il écrit également des poèmes de guerre, ayant principalement les blessés pour sujet.
Après la guerre, il réintègre le British Museum et écrit de nombreuses études sur l’art. Il démissionne en 1933 pour se consacrer davantage à la poésie et à l’enseignement, intervenant notamment dans plusieurs universités. La Seconde Guerre mondiale le surprend à Athènes, où il occupe un poste universitaire. Contraint de quitter le pays pour revenir en Angleterre, il poursuit sa carrière de poète et de spécialiste des arts extrême-orientaux. La dernière partie de sa traduction de la Divine Comédie, de Dante, commencée quelques années plus tôt, est publiée en 1943.
Laurence Binyon meurt en mars 1943, des suites d’une opération. Ses trois filles ont toutes mené une carrière artistique. L’aînée, Helen, est devenue une marionnettiste de renom.
L’impact de For the Fallen n’a jamais diminué au fil du temps. Il est assez ironique de constater que le poème choisi pour célébrer les centaines de milliers de morts d’une guerre qui a duré plus de quatre ans ait été écrit moins de deux mois après son déclenchement par un poète qui à ce moment-là n’avait pas encore pris part au conflit. Mais quand il a fallu choisir des textes commémoratifs au lendemain de la guerre, ces quelques vers avaient l’avantage d’évoquer un idéalisme dont la formulation était encore recevable après l’Armistice, une manière de compromis idéal dans le cadre des commémorations officielles.
Pour ceux qui sont tombés Avec la fierté et la reconnaissance d’une mère pour ses enfants, L’Angleterre pleure ceux qui ont péri au-delà des mers. Ils étaient la chair de sa chair, son âme profonde, Et sont tombés au nom de la liberté. Avec solennité, les tambours résonnent : la mort auguste et royale Chante la peine jusqu’aux sphères immortelles. Une musique se fait entendre dans la désolation Et la gloire resplendit sur toutes nos larmes. Ils sont partis au combat en chantant, ils étaient jeunes. Le corps leste, le regard franc, ferme et ardent. Jusqu’au bout ils surmontèrent les épreuves avec loyauté, Pour finir par tomber le visage tourné vers l’ennemi. Ils ne vieilliront pas, comme nous vieillirons, Sous le poids et l’outrage des ans. A chaque crépuscule et à chaque aube qui blanchit le ciel, Nous nous souviendrons d’eux. Ils ne riront plus avec leurs camarades, Ils ne s’installeront plus autour de la table familiale ; De notre labeur quotidien, ils seront absents ; Ils dorment par-delà l’écume des vagues anglaises. Là où nos désirs et nos espoirs sont les plus profonds, Comme une eau de source que les yeux ne voient pas, Ils appartiennent au cœur intime de leur propre pays Comme les étoiles appartiennent à la nuit. Comme les étoiles qui resplendiront quand nous serons poussière, A la parade sur la plaine céleste ; Comme les étoiles qui luisent de leur lueur d’étoile dans notre l’obscurité, Jusqu’à la fin, oui jusqu’à la fin, ils resteront. | For the Fallen With proud thanksgiving, a mother for her children, England mourns for her dead across the sea. Flesh of her flesh they were, spirit of her spirit, Fallen in the cause of the free. Solemn the drums thrill: Death August and royal Sings sorrow up into immortal spheres. There is music in the midst of desolation And a glory that shines upon our tears. They went with songs to the battle, they were young, Straight of limb, true of eye, steady and aglow. They were staunch to the end against odds uncounted: They fell with their faces to the foe. They shall grow not old, as we that are left grow old: Age shall not weary them, nor the years condemn. At the going down of the sun and in the morning We will remember them. They mingle not with their laughing comrades again; They sit no more at familiar tables of home; They have no lot in our labour of the day-time; They sleep beyond England’s foam. But where our desires are and our hopes profound, Felt as well-spring that is hidden from sight, To the innermost heart of their own land they are known As the stars are known to the Night; As the stars that shall be bright when we are dust, Moving in marches upon the heavenly plain; As the stars that are starry in the time of our darkness, To the end, to the end they remain. |