
Autodidacte, John Streets écrit des poèmes au front et les envoie régulièrement à une revue de poésie. Jusqu’à sa mort, le 1er juillet 1916, il ne cessera d’essayer d’exprimer la réalité combattante dans un style d’une indéniable qualité. |
La nécessité de la poésie en temps de guerre
John William Streets est né en 1886 à Whitwell, dans le Derbyshire. Aîné d’une famille de douze enfants, il montre très tôt de grandes capacités intellectuelles et artistiques mais doit quitter l’école à 14 ans pour travailler à la mine. Il ne laisse pas pour autant tomber les études et suit des cours par correspondance pour apprendre le latin, le grec et le français, tout en continuant à dessiner et à jouer du piano.
Il écrit des poèmes qui témoignent d’un étonnant talent pour un autodidacte. Quand la guerre éclate, il s’engage aussitôt. Âgé de 29 ans, il rejoint le bataillon de Sheffield City, un de ces « bataillons de copains » que l’armée avait créés pour favoriser le recrutement. Ces unités étaient composées de soldats originaires d’une même ville ou exerçant la même profession ou encore pratiquant un même sport. John Streets passe les quinze mois suivants dans différents camps d’entraînement anglais. En décembre 1915, son bataillon est envoyé en Égypte pour assurer la défense du canal de Suez. Les hommes creusent des tranchées huit heures par jour sous un climat auquel ils ne sont pas habitués. Nombre d’entre eux tombent malades et doivent être hospitalisés dans les hôpitaux égyptiens. En avril 1916, John Streets rejoint la Somme avec son bataillon et y suit un entraînement aux techniques de défense en cas d’attaque au gaz.
Malgré les conditions difficiles, John Streets parvient à écrire des poèmes de qualité sur les thèmes de l’amour et de la proximité de la mort. Son absence de formation universitaire ne l’empêche pas d’écrire dans le style héroïque propre à ceux qui ont fréquenté les public schools. Ironiquement, ces derniers sont quant à eux à la recherche d’un style plus populaire, à base d’argot. Ceci dit, son expérience dans le secteur éprouvant de Colincamps l’amène à recourir de plus en plus fréquemment à des touches réalistes, avec désormais la conscience aiguë que la mort est proche. Afin de préserver ses poèmes, il les envoie à l’éditeur de la Poetry Review, souvent sur ses bouts de papier maculés de boue. Dans une lettre accompagnant ses derniers sonnets, il écrit : Je les ai rédigés dans la tranchée et je n’ai guère eu le temps de les affiner. J’ai essayé d’illustrer quelques-unes des pensées que produit le cerveau de celui qui va mourir. Je ne vivrai peut-être pas pour écrire tout ce que j’ai envie d’écrire mais je l’espère cependant. Nous les soldats devons exprimer notre conception de la vie même si le vacarme de la mort assaille nos oreilles.
Le journal tenu par John Streets et les lettres qu’il envoie à sa famille nous renseignent sur son ambition poétique. Je suis sain d’esprit parce que j’aime la poésie. Je suis fou parce que j’en écris. Comme pour les innombrables combattants britanniques qui ont écrit des poèmes, l’activité littéraire de John Streets n’était pas un simple passe-temps mais une nécessité intérieure. Le premier juillet 1916, son bataillon monte à l’assaut. Blessé dès le début de l’attaque, il tente de regagner la tranchée mais se ravise pour porter assistance à un camarade plus gravement blessé. Il est porté disparu et certains de ses camarades espèrent qu’il a été fait prisonnier. Son corps sera finalement identifié et enterré au cimetière Euston Road de Colincamps. Sur le carnet retrouvé dans sa poche, on peut lire des pensées, des bouts de phrases, des poèmes inachevés, qui témoignent de son souci constant à consigner des idées pour de futurs poèmes ou son journal.
Certains de ses poèmes sont publiés dans des anthologies dès 1916. Son recueil, The Undying Splendour, paraît en mai 1917 avec des témoignages d’officiers vantant ses mérites de soldat. Cet autodidacte avait trouvé dans la poésie un moyen d’expression qui lui permettait d’exprimer ses espoirs et son désarroi. La qualité de son écriture lui promettait certainement un bel avenir littéraire.
Camarades Ceux que j’ai connus et admirés, mes amis les plus chers, Reposent ici en silence dans un linceul de soldat. La mort a brisé leurs rêves et mis fin à leurs aspirations, Ils étaient jeunes, fougueux, nobles et braves. Nous les portons sous le ciel étoilé Vers leur lieu de repos : le cimetière des soldats. L’aumônier fredonne une brève prière, Le rossignol ensorcelle la nuit. Ce soir, ils retrouvent la Terre-Mère, Tous ces garçons de la ligne de feu. C’est pour eux que mes yeux brûlent de compassion. Notre Mémoire leur élèvera un sanctuaire éternel. Car ceux que j’ai connus, admirés, mes amis les plus chers, Sont restés dignes quand la mort a fauché leur amour et leur jeunesse. | Comrades Those whom I’ve known, admired, ardently friended Lie silent there wrapp’d in a soldier’s shroud; Death broke their dreams, their aspirations ended, These sanguine youth, noble, brave and proud. Slowly they bear them ‘neath the dim star light Unto their rest-the soldiers’ cemetery: The chaplain chants a low, brief litany; The nightingale flings rapture on the night. Back to their Mother Earth this night return Unnumbered youth along the far-flung line; But ’tis for these my eyes with feeling burn, That Memory doth erect a fadeless shrine- |