
Obstétricienne, suffragette, quaker, Hilda Clark gère une unité hospitalière à Sermaise-les-bains avec son amie Edith Pye. Après guerre, elles poursuivent leurs activités humanitaires en Allemagne, en Autriche, en Chine et dans les Pyrénées pendant la Seconde Guerre mondiale. |
Une obstétricienne quaker à Châlons-sur-Marne
Née à Street, dans le Somerset, au sein d’une famille aisée, Hilda Clark entreprend des études médicales en 1901. Devenue obstétricienne, elle continue d’adhérer aux principes rigoureux de sa famille quaker tout en conservant son indépendance d’esprit, militant notamment pour le mouvement des suffragettes. Quand la guerre éclate, elle décide de partir en France sous l’égide du Comité Quaker de Secours aux Victimes de Guerre. Elle se rend à Paris avec son amie Edith Pye, sage-femme, pour aider les autorités françaises après la bataille de la Marne. Les réfugiés qui fuient Reims ne bénéficient d’aucune aide médicale, tous les médecins français ayant été mobilisés. L’équipe compte une trentaine de membres, adhérant tous aux principes pacifistes des Quakers. Une partie d’entre eux se rend près du front, à Châlons-sur-Marne, dont Edmund Harvey, député, et Hilda Clark. Edith Pye crée une maternité dans un asile à la périphérie de la ville. Une fois cet établissement pleinement opérationnel, Hilda Clark s’attelle à aménager une petite structure hospitalière à Sermaize-les-bains et un foyer pour les enfants de réfugiés de Reims dans l’enceinte du château de Bettancourt. Par la suite, elle travaillera dans une maison de convalescence à Samoëns, en Haute-Savoie.
Les lettres qu’elle a envoyées à sa compagne Edith Pye et à sa soeur Alice Clark nous permettent de suivre semaine après semaine la mise en place d’une organisation complexe d’aide aux réfugiés.
Après la guerre, Hilda Clark continue d’apporter son aide aux victimes de la guerre, cette fois en Autriche. Elle s’implique dans la Société des Nations et plusieurs organisations pacifistes féminines.
L’action de Hilda Clark est indissociable de celle de sa compagne Edith Pye. Toutes deux ont mené un même combat pacifiste et humanitaire. Pendant que Hilda Clark fournissait du lait aux enfants de Vienne, Edith Pye venait en aide à la population civile en Allemagne. Que ce soit en Chine dans les années 20 ou dans les Pyrénées pendant la Seconde Guerre mondiale, Edith Pye n’a cessé de se donner corps et âme pour son idéal de fraternité. La communauté quaker a toujours été à l’avant-garde de l’action humanitaire, notamment pendant la Grande Guerre. Entre 1914 et 1918, elle a apporté une aide médicale et caritative de premier plan, aussi bien en Grande-Bretagne que sur le territoire français.
Extrait :
Février 1915
Je dois essayer de rencontrer le préfet de la Meuse cette semaine pour obtenir un laissez-passer me permettant d’aller plus au nord. Plus de la moitié des villages sont en grande partie détruits. Nous avons discuté avec des habitants dans cinq-six d’entre eux. Malgré un manque évident de vaillance, ils prétendaient être en bonne santé. Sommeille est un des endroits qui a été le plus touché. Perché sur une colline, ce village de 370 habitants a été copieusement bombardé. L’église a cependant été épargnée ainsi que deux-trois maisons en bas de la colline. Le peu de villageois que nous avons rencontrés étaient apathiques et déprimés. Ces pauvres créatures pour lesquelles rien n’a été fait offrent un bien triste spectacle.
Châlons, mars 1915
Cette semaine, nous sommes allés à Nancy pour savoir si nous devions nous préparer à travailler dans cette ville mais il a été décidé que ce ne serait pas nécessaire pour l’instant. Nous avons demandé dix femmes et trente hommes supplémentaires et espérons pouvoir commencer notre mission dans la Meuse d’ici une quinzaine de jours.
Les femmes travaillent déjà à la distribution de semences et de plants pour les jardins. Comme cette tâche est urgente, j’essaierai de venir les aider la semaine prochaine.
Si nous disposons de suffisamment de personnel pour couvrir ce district d’ici deux-trois mois, nous pourrons envisager d’étendre notre action plus au nord.
Il ne fait aucun doute que ce district est un de ceux où la détresse est la plus grande et où l’aide française est la moins disponible.
En Meurthe-et-Moselle, et particulièrement à Nancy, les gens sont en mesure de nous apporter une aide appréciable. C’est une ville moderne et bien organisée avec une population courageuse et volontaire. Les Allemands n’y ont pas pénétré. Dès le début de la guerre, un système d’aide a été mis en place pour les réfugiés. La construction d’abris prend du temps en raison de la pénurie d’ouvriers mais petit à petit leur nombre augmente.
Je suis revenue ici ce matin en train et j’irai ce dimanche à Fère-Champenoise pour faire avancer notre projet de petit hôpital à Sermaize. Cet après-midi, nous avons eu la visite d’une charmante comtesse qui a réussi à « voler » un rendez-vous avec son fils. Nous invitons les mères à venir discuter avec leurs fils en toute tranquillité dans notre salon. En contrepartie, elles nous envoient des vêtements et de l’argent.
Châlons est bien plus calme qu’il y a quelques semaines et les troupes quittent la ville. Je ne sais pas où elles vont. Il n’y a que peu de combats dans la région proche.
L’équipe concentre son énergie sur les semences pour les jardins potagers. Elles sont très appréciées par les habitants.
Nous sommes de plus en plus sensibles aux horreurs de la guerre. Le succès même de nos petits efforts pour compenser les pertes matérielles ne fait qu’accentuer la terrible souffrance de ceux qui ont perdu des proches au combat.
Sermaize-les-bains, mars 1915
J’écris assise sur le seuil de la petite maison de bois qui a été érigée à côté du bois de La Source. Un immense soleil rouge descend dans le ciel au milieu des chants d’oiseaux tandis qu’au loin la canonnade continue de tonner. Ce fut une journée parfaite : le printemps est entré en scène sous les pépiements frénétiques des oiseaux. Ce matin, par la porte ouverte de ma chambre, j’ai pu contempler la légère brume bleutée qui s’accrochait aux branches des peupliers et j’en ai frémi.
Aujourd’hui, nous avons visité le canton de la Meuse où la ligne de front se dirige vers le nord, parallèlement au secteur qui relie Bar-le-Duc à Verdun, où les combats ont fait rage. Les villages y ont été détruits, d’abord par les bombardements puis par les incendies provoqués par les Allemands pendant leur retraite.
A Sermaize, nous avons maintenant un petit hôpital avec deux pavillons et une véranda. La structure n’est pas facile à administrer mais nous pouvons faire face à n’importe quelle urgence.
Avril 1915
J’essaie d’organiser un foyer de convalescents dans le château qui a été mis à notre disposition entre Sermaize et Bettancourt. Nous espérons recevoir des patients de Reims, de Châlons et de Bar-le-Duc. La difficulté consiste à savoir à l’avance si les patients prévus accepteront de venir ici !
Je passe beaucoup de temps à parler aux gens et à me montrer gentille, ce qui peut être parfois fatigant. Je ne vois quasiment jamais les réfugiés eux-mêmes. Il n’est pas question de céder à la mauvaise humeur, sauf quand dans les moments privés, mais ce n’est pas bon pour le moral.
Châlons, avril 1915
Certains dilemmes spirituels sont difficiles à vivre. Comment promouvoir un idéal de paix en faisant partie de la machine de guerre ? Nous consacrons notre temps et notre énergie à ceux qui se battent et nous doutons parfois de la validité de notre action.
Paris, avril 1915
Le préfet nous a dit que les 150 000 francs votés par le Conseil Général seront alloués de façon définitive aux baraquements : pour le bois de construction et aussi, si nous le désirons, pour les meubles.
Nous avons décidé de notre côté d’utiliser le budget voté par le comité pour acheter 400 lits qui serviront aux sinistrés de Sermaize et avons demandé à ce que la préfecture fasse un effort semblable pour couvrir l’ensemble des besoins en lits.
Reims, mai 1915
Nous avons conclu un arrangement avec l’hôpital civil de Reims : nous prendrons les femmes et les enfants (hors cas de maladies infectieuses) qui consentiront à quitter leur ville pour venir se réfugier ici à l’abri des bombes.
Des 120 000 habitants que comptait la ville, il n’en reste plus que 30 000. On dirait une cité de morts. Mais la vie perdure tout de même ci et là : des crieurs de journaux, quelques automobiles, des marchands de fleurs et de fruits, des magasins ouverts, où les prix n’ont presque pas augmenté.
Nous continuons d’être très occupées à Châlons mais nous avons davantage de personnel. L’évacuation des enfants de Reims n’est pas une entreprise facile. Nous en avons reçu trente cette semaine. Vingt-quatre ont été envoyés à Paris aujourd’hui et six à Sermaize et Bettancourt. Quatre autres véhicules nous en amèneront dix chacun aujourd’hui, demain et vendredi. Ces enfants doivent recevoir de nouveaux habits, subir un examen médical et être répartis dans différents endroits.
Comme on se sent étouffé par les mensonges et la haine, en particulier quand on lit les nouvelles en provenance d’Angleterre ! Ici, il est possible d’oublier ces désagréments car nous vivons dans le présent et notre état d’esprit ne s’encombre pas de telles choses. Je me demande si nous n’allons pas avoir un choc quand le temps va se dégrader. En ce moment, il fait si beau ! Le paysage est couvert de fleurs, résultat de l’absence de travaux dans les champs. Les couleurs sont aussi splendides que dans les Alpes et les courbes que dessinent les collines très agréables à l’oeil, comme si la nature s’était transformée en un gigantesque tableau postimpressionniste !