
Un poète parmi tous ceux que la postérité littéraire n’a pas retenus. Les anthologies, dont le succès ne s’est jamais démenti depuis la guerre, ont toutefois permis au public britannique de découvrir des poèmes et des lettres de grande qualité. |
Liens entre officiers et troupe
Auteur d’un recueil de poèmes posthume, Moods and tenses (1919), H.L. Simpson fait partie de ces nombreux écrivains-combattants sur lesquels il est difficile de trouver des informations biographiques. La profusion des témoignages publiés, en particulier sous la forme poétique, ne pouvait qu’entraîner l’oubli pour la plupart de leurs auteurs. Quant aux redécouvertes et réhabilitations au fil des décennies, peu de poètes des tranchées en ont bénéficié. D’où l’intérêt des anthologies. Elles ont commencé à être publiées dès la deuxième année de la guerre et n’ont cessé depuis lors. Leur succès ne s’est jamais démenti. Elles nous permettent de lire des poèmes d’écrivains-combattants condamnés à un relatif anonymat et sur lesquels aucune étude ne sera jamais publiée. La même chose vaut pour les anthologies de lettres. Dans Letters From the Front, publié en 1973, John Laffin a eu la bonne idée d’inclure une lettre de Simpson, qui, aussi bien par son style que par ce qu’elle dit, se démarque de ce qu’on peut lire habituellement. Le thème abordé est la force du lien qui unissait les combattants du front. Il ne s’agit pas ici du phénomène de la camaraderie, régulièrement abordé et glorifié dans les mémoires. Henry Lamont Simpson est un jeune officier qui évoque les hommes qu’il a sous son commandement. Si les officiers ont régulièrement fait part de l’admiration et de la sympathie qu’ils éprouvaient pour les hommes du rang, peu sont allés jusqu’à l’exaltation dont fait preuve Simpson. Dans un élan qu’il ne cherche pas canaliser, il tente de définir ce qu’il ressent avec une sincérité rare. A l’occasion de la publication de son recueil de poèmes en 1919, un critique avait écrit : C’était un idéaliste, et parce qu’il était idéaliste il avait une conscience intense et terrible de l’horreur et de la barbarie de la guerre. La lettre qui suit nous parle de cet idéalisme qui n’a pas péri dans les tranchées.
Né en 1897 à Crosby-on-Eden, Henry Lamont Simpson a intégré l’université de Cambridge en 1915. Il est devenu officier en juin 1917 et a été tué au combat à Hazebrouck le 29 août 1918. Son nom est aujourd’hui commémoré sur le mémorial de Vis-en-Artois, près d’Arras.
Destinataire inconnu
Plus je côtoie les hommes du rang, plus je les aime. Une chanson populaire (même si elle est quelque peu salace à certains endroits) peut vous rendre joyeux et triste au-delà des mots parce qu’on a entendu ses hommes la chanter à tue-tête. Très sérieusement, les petites chansons de troupe de ces dernières années sont capables de m’émouvoir infiniment plus que la plus divine des musiques parce que je me souviens de ceux qui les ont chantées. Il ne s’agit pas seulement de sentimentalisme et de nostalgie à propos d’amitiés défuntes et de passions individuelles, ces éléments restant marginaux. La principale raison réside dans l’amour que je porte à mes semblables et dans la foi passionnée que j’ai en eux. Je crois de tout mon cœur qu’un homme est, globalement, une créature que l’on peut aimer et qu’au fond il est bon. (Au diable ce dernier mot, mais tu me comprends : digne, droit, sincère, vrai.) Le soldat chante des chansons paillardes et jure, et n’est parfois qu’une brute avinée et bestiale ; mais si on apprend à le connaître on se met à l’aimer, à croire en lui dur comme fer et on n’est jamais déçu.
Je suis conscient que tout cela est chaotique, illogique et peut-être même BOCHE aux yeux de ceux qui prétendent savoir. Mais cette croyance, je l’avais déjà à l’école et elle m’occupait l’esprit. Elle a pu s’amplifier au contact de l’armée en Angleterre et a porté ses fruits en France. Elle fait partie de ma personne, c’est ce qu’il y a de mieux en moi, et que ce soit bien ou mal je ne la renierai jamais. (Je dis bien ou mal à ton encontre, car pour ma part je sais que j’ai raison). Et c’est pour cela que, furieusement, je veux écrire, pour que tout le monde le sache ; et pour la première fois de ma vie je suis incapable d’écrire le moindre vers. Je ne suis pas arrivé au stade de me souvenir en toute tranquillité. Ma foi déborde de toutes parts et m’empêche d’être cohérent. [Wordsworth a écrit que la poésie était de l’émotion dont on se souvient en toute tranquillité.]