Gilbert Frankau (1884-1952)

Négociant en cigares et auteur à l’occasion, Gilbert Frankau participe aux batailles de Loos et d’Ypres. Forte tête, il a des démêlés avec ses supérieurs et rejoint le front italien. Parfois cynique et farouchement nationaliste, il glorifie la guerre tout en critiquant l’armée.

Une plume acerbe

Gilbert Frankau est né le 21 avril 1884, dans une famille juive, d’un père négociant en cigares et d’une mère romancière, qui publiait des romans à succès sous le pseudonyme de Frank Danby. Après une enfance privilégiée, il renonce à l’université, préférant travailler auprès de son père. Il voyage en France, en Italie et en Allemagne pour trouver des débouchés commerciaux, et en profite pour mener en parallèle une vie de noceur. A la mort d’Arthur Frankau, en 1904, il reprend l’entreprise familiale et se marie l’année suivante avec Dolly Drummond-Black. Malgré la naissance d’une fille en 1908, il continue de mener la même vie que lorsqu’il était célibataire. Il publie deux romans tout en tenant plus ou moins les rênes de son négoce de cigares mais son entreprise périclite. Pour la redresser, il veut se lancer dans l’exportation et part pour un voyage d’affaires autour du monde, qui durera plus d’un an.

En septembre 1914, il s’engage, d’abord dans l’East Surrey Regiment, puis, après un désaccord avec son officier supérieur, dans le Royal Field Artillery, où il est promu lieutenant en août 1915. A la bataille de Loos, il partage un cantonnement avec John Kipling, qui sera porté disparu le lendemain. Il s’empresse d’écrire au père de John. Ce sera le début d’une correspondance entre Frankau et l’auteur du Livre de la Jungle.

En 1916, sa brigade est transférée dans le secteur d’Ypres. Il envoie des poèmes à la revue Land and Water et contribue très régulièrement au journal de tranchée The Wipers Time, où il peut donner la pleine mesure de sa verve satirique. Ce journal, qui change plusieurs fois de nom pendant la guerre, est écrit et imprimé dans des conditions extrêmes. Frankau est très apprécié des jeunes sous-officiers pour ses blagues un peu potaches et la liberté de ton qui s’y déploie. Mais il ne fait pas que pratiquer l’humour dans ses écrits. Il peut également se montrer acerbe, comme dans cette lettre qu’il envoie au Daily Mail pour s’indigner que la prière officielle des aumôniers prenne en compte l’ennemi. Sa poésie, aux images intenses et sans concession, dénonce l’horreur de la guerre mais ne remet pas en cause sa raison d’être.

Après une altercation avec son officier supérieur, il fait jouer ses relations pour être transféré sur le front italien. Intégré à l’Intelligence Corps, il est chargé d’une mission de propagande ayant pour but de convaincre les Italiens de la validité de l’implication britannique en France. Pour ce faire, il a emporté des films de Grande-Bretagne mais les Italiens ne sont pas convaincus. Il rentre à Londres, récupère d’autres prises de vue, les monte avec l’aide d’un réalisateur italien et ajoute des chants de guerre. Le film sort sous le titre de The Battle of the Tanks. Cette fois, le public est conquis. Son arrogance lui vaut parfois la défiance des autorités militaires. A un de ses supérieurs qui lui dit « On dirait bien qu’on vous a sauvé la vie, Frankau, » il répond : « Dans ce cas, vous pouvez vous flatter d’avoir rendu un service suprême à la littérature britannique.»

A Rome, il rencontre l’auteur qu’il admire le plus, Kipling, à l’occasion de la projection de The Battle of the Tanks. Désobéissant aux règles militaires, il mène une vie dispendieuse, et finit par être congédié. Il réussit finalement à se faire invalider pour commotion et neurasthénie. Cette commotion n’était cependant pas un simulacre. Les séquelles de la guerre le poursuivront toute sa vie. A l’hôpital de Reading, il écrit de nombreux poèmes, dont certains sont violemment anti-allemands. Comme pour grand nombre de combattants, la haine de l’ennemi a atteint son apogée, chez Frankau, après la mort de son frère, tué en 1917.

En 1919, il écrit Peter Jackson, Cigare Merchant, roman où il raconte en partie la guerre qu’il a vécue. Il continue de publier des poèmes où il laisse libre cours à sa colère contre le peu de cas fait aux soldats revenus de la guerre.

Sa production littéraire est ample. Dans les années 20, il est à plusieurs reprises attiré par l’extrême droite, notamment par Mussolini. Son autobiographie, publiée au moment où éclate la Seconde Guerre mondiale, se termine par ces mots : Cette fois, que ceux qui survivent veillent à ce qu’aucun homme politique ne trahisse nos morts victorieux.

TOMMIES 14-18

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