Francis Ledwidge (1887-1917)

D’origine modeste, Francis Ledwidge avait entamé une œuvre poétique prometteuse quand il fut tué près d’Ypres en 1917. De Gallipoli aux Flandres, il n’a cessé de célébrer son Irlande natale dans une série de poèmes sensibles. Mort le même jour que le poète gallois Hedd Wyn, également enterré au cimetière de Boezinge.

Un barde irlandais tombé dans les Flandres

De Gallipoli à la Flandre, Francis Ledwidge n’a cessé de chanter son Irlande natale tout au long de son parcours de combattant. Les paysages dans lesquels il avait grandi ne l’ont jamais quitté, même au coeur de la bataille. Le 1er juillet 1917, il décrit, dans une lettre à Edward Marsh, une attaque au cours de laquelle son esprit glissait sur la rivière Boyne… et écoutait les coucous de Crocknaharna. Cette faculté de s’extraire des réalités de la guerre pour susciter les images puissamment évocatrices d’une nature restée intacte, Ledwidge la possédait comme personne. Ses poèmes parlent peu de la guerre. Ils se concentrent sur des images où les souvenirs d’enfance et la mythologie celtique lui donnent la force de faire face à l’horreur de la guerre. Ayant grandi au pied de la colline de Tara, siège de l’ancienne capitale mythique irlandaise, ses liens avec son pays sont particulièrement forts.

Né à Slane, le 19 août 1887, dans le comté de Meath, Francis Ledwidge est le huitième enfant d’une famille qui en comptera neuf. Son père, un métayer expulsé de sa ferme, meurt quand il a neuf ans. Il quitte l’école à douze ans et travaille comme ouvrier agricole à la tâche, avant de devenir cantonnier, puis mineur. Révolté par les conditions de travail à la mine, il organise une grève, ce qui lui vaut un renvoi immédiat.

Sa vocation littéraire ne vient donc ni du milieu dans lequel il a grandi ni de son éducation. Elle prend ses racines dans la mythologie et le folklore celtiques. Le jeune garçon trouve dans les contes irlandais et la poésie de Yeats, figure de proue du mouvement de la Renaissance Celtique, une matière qui lui permet de célébrer son pays et de cultiver son romantisme. Cet élan littéraire a sa contrepartie sociale et politique. Dès qu’il le peut, Francis Ledwidge combat au côté des opprimés. Il devient notamment secrétaire d’un syndicat agricole. Nationaliste, il participe à la création du corps local de Slane des Volontaires Irlandais. En 1912, il réussit à faire publier ses vers dans le Drogheda Independent. La même année, il envoie quelques uns de ses poèmes à Lord Dunsany, auteur dramatique faisant lui aussi partie de la Renaissance Celtique. Ce dernier voit en lui un garçon plein de promesses, doté d’une belle imagination et capable de retranscrire avec une simplicité remarquable les beautés de la nature. Ledwidge devient son protégé. Dunsany l’introduit dans les cercles littéraires et l’aide à réviser son recueil de poèmes intitulé Songs of the Fields. Le jeune homme se voit déjà célèbre. Mais la guerre arrive et met un terme à ses rêves de gloire. Malgré ses convictions nationalistes, il n’hésite pas à s’enrôler dans l’armée britannique, considérant que l’Allemagne est aussi bien l’ennemie de la Grande-Bretagne que de l’Irlande. A la veille de la guerre, le gouvernement britannique avait promis d’entamer des négociations en vue de l’autonomie de l’île. Les deux camps rivaux, républicains et loyalistes, s’engagent dès lors aux côtés de la Grande-Bretagne, les premiers pour montrer leur bonne volonté et espérer s’attirer les grâces des Anglais quand les négociations reprendront, les seconds par fidélité naturelle envers le pouvoir de Londres.

En juillet 1915, le 5e bataillon des Royal Inniskiling Fusiliers embarque pour Gallipoli. Le jeune Irlandais admire le courage des combattants turcs et écrit à Dunsany que par respect pour eux il a lu le Coran. Ses lettres à son mentor et à ses amis de Slane nous permettent de suivre son parcours militaire. Il y relate la férocité des combats dans les Dardanelles dans un style bien à lui, plein de spontanéité : Au cœur même du combat, je me suis demandé si une vache que j’avais connue et qui souffrait d’une inflammation de la langue était morte ou non. Ce fut une journée horrible et magnifique. Je ne l’aurais manquée pour rien au monde. La vache fait référence à un poème de Wilfrid Gibson, qui commence ainsi : Je me demande si la vieille vache est morte ou non et qui se termine par les vers suivants : Et ce à quoi je pense, tandis que je fais face à l’ennemi /… c’est d’être tué sans savoir, jusqu’au Jugement Dernier, si la vieille vache est morte ou non. Cet extrait de lettre montre que Ledwidge s’intéresse à la production poétique de ses contemporains. Il indique aussi que le mal du pays est une constante chez lui.

En septembre, la 9e division irlandaise, largement décimée, est évacuée sur Salonique, à la frontière entre la Grèce et la Serbie. Pendant ce temps, son recueil Songs of the Fields est publié en Irlande et reçoit un accueil favorable de la part des critiques. Edward Marsh inclut trois de ses poèmes dans une anthologie de poésie georgienne visant à faire connaître de jeunes talents.

La guerre sur le front oriental est particulièrement éprouvante pendant l’hiver 1915-16, avec des températures descendant jusqu’à – 30°. Ledwidge contracte une bronchite aiguë et doit être soigné dans un hôpital du Caire. Pour chasser les cauchemars qui le hantent, il continue à écrire des poèmes, dont un dédié à sa mère. Le médecin qui le soigne s’arrange pour qu’il obtienne une permission.

De retour en Grande-Bretagne, il apprend que les nationalistes ont lancé une insurrection à Dublin et ont échoué. Les Pâques Sanglantes, au cours desquelles un groupe de nationalistes a proclamé l’indépendance de l’Irlande, donnent lieu à une répression violente. Les chefs rebelles sont exécutés. Ledwidge est anéanti. S’il se bat aux côtés des Britanniques contre un ennemi commun, il n’en soutient pas moins la cause de l’indépendance irlandaise. Par dépit, il décide de se saouler et ne respecte pas la date de fin de permission. Jugé en cour martiale, il doit passer quelques mois en caserne à Derry.

A la fin du mois de décembre 1916, Ledwidge retrouve son bataillon dans la Somme, à Picquigny. Il entame une correspondance avec Katherine Tynan, poétesse et romancière prolifique, alors au faîte de sa carrière. Au printemps 1917, il arrive dans le secteur d’Arras. Il souffre de plus en plus du mal du pays et perd toute illusion sur le bien fondé de la guerre. Son seul réconfort vient de sa notoriété grandissante en tant que poète. Son unité est transférée à Proven, près d’Ypres, en vue de la bataille de Passchendaele. Le 31 juillet, il est tué par un tir de mortier allemand. Son corps est enterré au cimetière Artillery Wood, sur la crête de Pilckem.

TOMMIES 14-18

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