
Prêtre catholique canadien d’origine irlandaise, Francis Duffy est l’aumônier du 69e régiment de New York. Cette unité se bat notamment dans les Vosges et en Lorraine. |
La Saint-Patrick dans les tranchées
Pendant la Grande Guerre, ce prêtre catholique canadien a été l’aumônier du 69e régiment d’infanterie de la Garde Nationale de New York, composée majoritairement d’immigrants irlandais. Il est l’ecclésiastique le plus décoré dans l’histoire de l’armée américaine.
Né en 1871 au Canada, dans l’Ontario, Francis Duffy émigre à New York. Ordonné prêtre en 1896, il enseigne la « psychologie philosophique » au séminaire de Yonkers et édite la New York Review, que l’archevêque de New York réussit à faire interdire en raison de son contenu jugé trop « moderniste ». Nommé dans une paroisse récemment créée dans le Bronx, Francis Duffy devient également aumônier militaire, ce qui lui vaut d’accompagner les troupes américaines lors de la guerre hispano-américaine de 1898 à Cuba.
Quand le 69e régiment de New York est envoyé en France, en 1917, Francis Duffy accompagne les hommes dont il a la charge spirituelle. Après la période d’entraînement militaire, pendant laquelle il célèbre de nombreux mariages, il débarque à Brest avec son régiment le 12 novembre. Le régiment rejoint les Vosges puis les secteurs de Lunéville et de Baccarat, en Meurthe-et-Moselle. Viendront ensuite la bataille de l’Ourcq, l’offensive de Saint-Mihiel, la bataille de l’Argonne puis l’occupation en Allemagne. Francis Duffy ne se contente pas d’assurer les services religieux et de veiller au moral des troupes, il accompagne également les brancardiers au coeur même des combats. Le lieutenant-colonel Donovan considère que le rôle de Francis Duffy dépasse celui d’un simple aumônier. Il est même question de lui attribuer le poste de commandement du régiment.
Les mémoires de guerre de Francis Duffy regorgent d’informations précises sur les localités françaises où stationnent le 69e régiment et de commentaires sur la population civile. On y suit la vie quotidienne du régiment, avec pour fil conducteur l’esprit irlandais qui unit ces fils et petit-fils d’émigrés de la verte Erin. L’ouvrage remplit à la fois les fonctions d’histoire régimentaire et de récit personnel. Cette double orientation s’explique par la genèse du livre. Francis Duffy a en fait repris le manuscrit de son ami, le poète Joyce Kilmer, converti au catholicisme, qui avait entamé la rédaction de l’histoire du régiment avant d’être tué en 1918 au cours de la bataille de l’Ourcq. Duffy avait au départ l’intention de continuer dans la veine du manuscrit de Kilmer, mais on l’avait incité à y relater également ses propres souvenirs. Comme de nombreux autres mémoires d’aumôniers, l’ouvrage de Patrick Duffy est un témoignage très documenté qui se distingue par la qualité de son écriture.
Après la guerre, il prend en charge la paroisse de Holy Cross, à New York, et y restera jusqu’à sa mort en 1932.
Extrait :
Dimanche 17 mars 1918
Si nous avions été à New York aujourd’hui, nous n’aurions pas manqué de faire la fête ! Nous aurions défilé sur l’avenue puis nous serions allés écouter les vieux airs irlandais joués sur les grandes orgues de la cathédrale Saint-Patrick. Le vénérable cardinal nous aurait bénis avant de prononcer quelques paroles d’encouragement. L’après-midi, nous nous serions joints au cortège des sociétés irlandaises au son d’une fanfare qui aurait joué Garry Owen, Let Erin Remember et O’Donnell Aboo sous les acclamations de la foule. Si nous pouvions être transportés à la seconde sur l’avenue, je suis sûr que leurs hourrahs seraient tonitruants en cet an de grâce 1918. Mais je suis heureux que nous ne soyons pas là-bas. Depuis plus de soixante-dix ans, le vieux régiment a défilé le long de l’avenue le jour de la Saint Patrick. Mais jamais, Dieu merci, pendant que le pays était en guerre. Certains peuvent se réjouir du printemps qui s’installe timidement dans les Carolines, sur les falaises de l’Hudson ou le rivage de Long Island, mais pour ce qui est du vieux régiment irlandais, il n’y a qu’un seul endroit pour fêter la Saint-Patrick : la ligne de front.
Nous n’avions pas de cathédrale pour notre messe de la Saint Patrick mais le lieutenant Austin Lawrence a demandé aux médecins Jim McCormack et George Daly de me trouver un coin dans les arbres où ma soutane blanche ne risquerait pas d’être repérée. Les hommes qui en avaient l’autorisation se glissèrent hors des tranchées pour assister à l’office.
Plus tard dans la matinée, j’ai également célébré une messe en arrière, au camp New York, pour le 2nd bataillon. Là aussi nous étions dissimulés par de jeunes bouleaux sur un terrain en pente. Les hommes n’ont pas bougé quand le clairon a retenti pour signaler un aéroplane ennemi. Je leur ai décrit les anciennes fêtes de la Saint Patrick en leur disant que nous étions mieux ici. Les dirigeants de notre pays nous avaient appelés pour que nous nous battions au nom de la liberté et du droit des petites nations. Nous combattons pour cette noble cause au nom de notre pays et de l’humanité toute entière, sans oublier le cher petit pays d’où venaient tant d’entre nous et que nous aimions tous.