
Médecin écossaise et sympathisante suffragiste, Flora Murray crée deux hôpitaux pour l’armée française, les autorités britanniques ayant refusé son aide. L’armée britannique finit par l’autoriser à créer un hôpital à Londres. |
Une suffragette en service hospitalier
Après ses études de médecine, Flora Murray exerce dans deux établissements londoniens : l’hôpital pour enfants de Belgrave puis l’hôpital pour femmes de Chelsea. En 1908, elle rejoint l’Union Politique et Sociale des Femmes et se met au service des suffragettes. Elle participe aux actions du mouvement et soigne des militantes qui sortent de prison après leur grève de la faim.
En 1912, elle fonde avec Louisa Garrett Anderson un hôpital pour les enfants de la classe ouvrière londonienne. La devise de l’établissement est Des actions, pas des mots. Quand la guerre éclate, le mouvement des suffragettes suspend toute activité politique pour la durée du conflit. Le 10 août, le gouvernement libère les militantes encore emprisonnées. En contrepartie, le mouvement décide de participer à l’effort de guerre.
Pendant la guerre, Flora Murray sert en France au sein du Women’s Hospital Corps. Avec sa collègue et amie Louisa Garrett Anderson, elle crée des hôpitaux militaires à Paris et à Wimereux pour l’armée française, les autorités britanniques refusant leur service. Leur implication et la qualité de leur travail à l’hôtel Claridge, à Paris, finiront par vaincre les réticences du gouvernement britannique qui revient sur sa décision initiale et les autorise à créer l’hôpital militaire d’Endell Street, à Londres. Le personnel de l’établissement est uniquement composé de femmes. Anderson y dirige le service de chirurgie. Jusqu’à sa fermeture en 1919, plus de 25 000 patients seront soignés dans cet établissement.
Flora Murray ne s’est jamais mariée et a toujours conservé des liens étroits avec Louisa Garrett Anderson. Elle est enterrée à la paroisse de la Sainte Trinité dans le Buckinghamshire non loin de son amie. Sur la tombe de cette dernière, on peut lire : Nous avons été glorieusement heureuses.
En 1920, Flora Murray publie le récit de son expérience de guerre sous le titre Women as army surgeons, being the history of the women’s hospital corps in Paris, Wimereux et Endell Street – Septembre 1914 – octobre 1919. Préfacé par la romancière féministe Beatrice Harraden, cet ouvrage est un document d’un grand intérêt aussi bien pour l’histoire des soins hospitaliers que pour celle du mouvement suffragiste.
Les deux extraits proposés traitent du problème des visiteurs. S’ils sont peu nombreux à l’hôpital de Wimereux (extrait 1), leur afflux peut vite devenir difficile à gérer à l’hôpital londonien d’Endell Street (extrait 2).
[Extrait 1]
Il était très facile pour les amis des blessés de traverser la Manche et beaucoup l’ont fait. Ils ne venaient pas les mains vides. Après leur passage, l’hôpital disposait de jeux, de gramophones et d’une abondance d’objets divers, dont des bouées et des matelas à eau. Sir Alan Anderson arriva avec toute une cargaison de faisans, autant dire le nec plus ultra en matière de gastronomie. Nous recevions aussi du linge et des vêtements chauds.
C’est dans cet hôpital qu’une amie suffragette reconnut un policier blessé.
– Je me souviens de vous, dit-elle. Vous m’avez arrêtée à Whitehall.
– Je ne me serais pas permis de le mentionner, répondit-il embarrassé. Tout cela fait aujourd’hui partie du passé.
Le flux des visiteurs officiels – des colonels, des inspecteurs, des consultants – ne cessait jamais. Ils s’empressaient tous de faire partir les blessés : vers l’Angleterre ou le front. Le service médical de l’armée souhaitait une rotation rapide. Chaque semaine, voire plus souvent, ils venaient dans l’objectif de vider les lits. Au bout de quelques semaines d’observation, ces officiers finirent par reconnaître que notre organisation de femmes était digne d’étendre son action à d’autres structures. Quand l’occasion se présentait, ils ne manquaient pas de parler favorablement de nous et même de recommander nos services.
[Extrait 2]
L’hôpital était envahi de visiteurs de toutes espèces et toutes conditions, qui venaient à n’importe quelle heure sous n’importe quel prétexte, tous désireux de « prononcer quelques paroles douces aux blessés », ou comme l’a écrit une dame de la haute société « d’apporter un rayon de soleil dans la vie de tous ces pauvres trésors mutilés. » Nous voyions arriver des tas de représentants de différentes associations régimentaires et autres sociétés de même acabit, tous persuadés que personne ne pouvait mieux qu’eux apporter « une parole de réconfort » ou « un peu de soleil » dans les pavillons. Tous exigeaient la liste exacte des patients aux employées débordées et n’acceptaient pas qu’un de « ceux qu’ils souhaitaient voir » ne fût plus là. Il était difficile de les convaincre que les pavillons devaient fermer à cinq heures car nous avions des soins à administrer.