Enid Bagnold (1889-1981)

 

A diary without a date est un “journal hospitalier” au style remarquable qui vaut à son autrice d’être congédiée de l’hôpital de Woolwich. Elle part en France en 1918 et conduit un camion pour l’armée française. Par la suite, elle deviendra une romancière et auteure dramatique à succès.

Congédiée après la parution de son journal

Romancière et auteure dramatique, Enid Bagnold est née à Rochester, dans le Kent, en 1889. Elle passe une grande partie de son enfance en Jamaïque, où est posté son père, le colonel Arthur Bagnold. Après avoir été scolarisée en Grande-Bretagne, en Allemagne et en France, elle suit des cours à l’école d’art de Walter Sickert, à Londres. A la veille de la guerre, Enid est une jeune fille indépendante et intrépide, qui cherche à échapper au conservatisme de ses parents en s’installant dans un appartement à Chelsea.

  Elle occupe d’abord un poste de rédactrice auprès de Frank Harris, qui vient de créer la revue Modern Society. L’éditeur et sa jeune collaboratrice deviennent amants. Dans son autobiographie, Enid Bagnold relate la perte de sa virginité sans tabou et avec beaucoup de cocasserie. Jeune femme libre et ambitieuse, elle côtoie les milieux artistiques de la capitale et pose notamment pour le sculpteur français Henri Gaudier-Btzeska. Bien décidée à vivre la vie de bohème, elle tourne le dos aux conventions et affiche un esprit rebelle teinté de féminisme. Elle se lit d’amitié avec la nouvelliste Katherine Mansfield, les romancières Vita Sackville-West et Violet Trefusis, sans oublier les membres du groupe de Bloomsbury. Elles côtoie également la haute société et a une liaison avec le prince roumain Antoine Bibesco.

  Pendant la guerre, Enid Bagnold devient V.A.D. (Voluntary Aid Detachment) à l’hôpital Herbert de Woolwich, dans la banlieue de Londres. Elle relate cette expérience dans A Diary Without Dates, publié en 1918. Son compte rendu sans concession de la vie d’une infirmière bénévole ne plaît pas à l’administration de l’hôpital, qui la congédie. Déçue de ne pas pouvoir poursuivre sa mission sanitaire auprès des blessés de guerre, elle part pour la France, où elle devient chauffeur au sein de l’armée française. Elle s’inspire de cette nouvelle expérience pour écrire un roman, The Happy Foreigner (1920). Moins réussi que le précédent, cet ouvrage contient néanmoins des passages d’un grand intérêt sur l’état de la France à la fin de la guerre et au lendemain de l’Armistice.

  En 1920, Enid Bagnold épouse Sir Roderick Jones, le directeur et propriétaire de l’agence de presse Reuters, avec lequel elle aura quatre enfants. Devenue Lady Jones, Enid continue d’écrire sous son nom de jeune fille. En 1935, National Velvet la rend célèbre. Ce roman pour la jeunesse, adapté au cinéma en 1944, avec la jeune Elizabeth Taylor dans le rôle principal, continue encore aujourd’hui d’attirer de nombreux lecteurs. The Squire (1938), généralement considéré comme son meilleur roman, est d’une veine radicalement différente. Enid Bagnold fait figure de pionnière en centrant tout le récit sur une grossesse. The Squire est un livre qui interroge la notion de maternité. Enid Bagnold le considérait comme son meilleur roman. Depuis la naissance de sa fille Laurian en 1921, elle avait régulièrement pris des notes sur ses grossesses, ses accouchements et les premiers mois de la vie de ses quatre enfants, et envisageait de les utiliser pour un roman, considérant que le sujet n’avait pour l’instant jamais été traité de manière satisfaisante. Récemment réédité, The Squire reste une oeuvre à part, qui parle de la condition féminine et de l’instinct maternel avec une originalité et une force qui ne faiblissent pas avec le temps.

  Après The Squire, elle se consacre principalement au théâtre. Ses pièces, jouées en Grande-Bretagne et aux États-Unis, sont pour la plupart des succès notables. Pour chacune d’entre elles, elle s’implique dans la production, ce qui n’est pas toujours du goût des metteurs en scène et des comédiens. Pour sa dernière pièce, A Matter of Gravity (1976), elle accueille chez elle Katherine Hepburn, qui doit tenir le rôle principal à New York, afin que la célèbre actrice puisse s’imprégner de son rôle à ses côtés.

  Enid Bagnold publie son autobiographie en 1969. Le récit alerte de sa vie lui vaut un dernier succès en librairie. Elle meurt en 1981, à l’âge de 91 ans. Son arrière-petite-fille, Samantha Sheffield, est l’épouse du Premier ministre britannique David Cameron.

  La carrière d’Enid Bagnold est placée sous le signe du succès populaire. Elle a vécu dans l’aisance avec un mari fortuné, donnant régulièrement des fêtes à son domicile londonien où étaient invitées les personnalités en vue des milieux mondain et littéraire de la capitale. Virginia Woolf la qualifiait de « polissonne ayant épousé un homme riche. » Si Enid Bagnold s’est effectivement embourgeoisée, passant de la bohème d’avant-guerre aux mondanités festives des années folles, elle a malgré tout su conserver son indépendance d’esprit, laquelle a nourri une oeuvre riche et diversifiée. Auteure inclassable, qui a déconcerté plus d’un critique, Enid Bagnold a tracé son propre sillon sans se soucier d’appartenir à un genre. Les sujets qu’elle traite ont toujours leur part d’originalité. Le thème des domestiques revient ainsi régulièrement dans ses pièces et romans. Pour le développer, elle n’avait qu’à s’inspirer de sa propre vie de femme riche ayant à gérer un personnel nombreux. Son théâtre propose une série de personnages féminins forts, qui ont marqué la scène anglaise. A la veille de sa mort, elle regrettait que son oeuvre n’ait pas toujours reçu l’approbation de la critique. Mais elle lui a valu toutefois la notoriété.

  Son premier texte publié, A Diary Without Dates, ne laissait pourtant pas supposer un tel destin. Ce témoignage sur le quotidien d’une infirmière bénévole reste atypique dans sa production littéraire. D’une écriture assurée, éminemment personnelle, il constitue une tentative réussie d’immersion dans l’univers des soins en temps de guerre. Le style impressionniste s’attache à rendre compte de la réalité dans sa diversité, son incohérence et sa douleur. A sa publication, H.G. Wells considérait cet ouvrage comme un des livres les plus humains écrits à propos de la guerre. On ne peut qu’être d’accord avec ce jugement. Si la lecture de A Diary Without Dates peut dérouter au début, elle finit par nous immerger dans l’atmosphère pesante, mais profondément humaine, des hôpitaux, qui pour bien des combattants ont été une étape obligée dans leur parcours de guerre. Le point sur lequel le livre a créé la polémique et entraîné le limogeage d’Enid Bagnold concerne les relations entre infirmières professionnelles et V.A.D. au sein de l’institution hospitalière. Vera Brittain traite également de cette question dans ses mémoires, Testament of Youth. Les deux femmes ayant par la suite eu une longue carrière littéraire qui présente certaines similitudes. La rivalité entre le personnel soignant en place et les nouvelles recrues, bénévoles venues apporter leur contribution à l’effort de guerre, n’a pas toujours été facile. Les problèmes de hiérarchie, la peur de se voir déposséder d’un statut professionnel chèrement acquis, les confrontations de classes sociales, tout cela a parfois créé une atmosphère délétère, qui nuisait au bon fonctionnement des services.

Extrait de A Diary Without Dates

TOMMIES 14-18

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