Ellen La Motte (1973-1961)

   

Ellen La Motte soigne les blessés à Roesbrugge, en Belgique. Sa description des râles et et des agonies est sans concession. Un univers déshumanisé où des généraux viennent remettre de dérisoires médailles à des blessés condamnés.

Les « coulisses » censurées du front

Née à Louisville, dans le Kentucky, Ellen La Motte suit une formation d’infirmière à l’institut Johns Hopkins de Baltimore malgré la désapprobation de ses parents et obtient son diplôme en 1902. Après avoir brièvement exercé en Italie et à Saint-Louis, elle revient à Baltimore pour s’occuper d’un pavillon de tuberculeux. Elle devient une spécialiste des soins liés à la tuberculose et publie des articles sur ce sujet, préconisant l’isolement des patients pour éviter la propagation de la maladie. Elle s’investit également dans le mouvement des suffragettes. En 1913, elle sollicite un congé pour se rendre à Londres. Correspondante spéciale pour le Baltimore Sun, elle suit les rallyes et les procès du mouvement suffragiste britannique.

  Quand la guerre est déclarée, les femmes ne sont pas encouragées à se rendre en Europe. Un certain nombre d’Américaines bravent toutefois les consignes officielles et débarquent en France dès l’automne 1914. C’est le cas d’Ellen La Motte. Elle offre ses services à l’Ambulance Américaine de Paris et côtoie les cercles d’expatriés résidant dans la capitale française, notamment Gertrude Stein, qui la mentionnera dans son Autobiographie d’Alice Toklas (1933) en insistant sur son partenariat avec Emily Chadbourne. Ellen La Motte et Emily Chadbourne arrivent en effet en France ensemble et œuvreront par la suite côte à côte pour lutter contre le trafic d’opium en Extrême-Orient. Nombreux sont les exemples d’amies ayant mené ensemble une mission sanitaire pendant la Grande Guerre : Hilda Clark et Edith Pye, Elsie Knocker et Mairi Chilsholm, Ellen La Motte et Emily Chadbourne, Gertrude Stein et Alice Toklas.

 Très critique à l’égard de ses compatriotes, qui selon elle exercent leur mission humanitaire avec trop de frivolité, elle désire se rapprocher du front pour employer ses compétences d’infirmière là où elle peut être la plus utile.  C’est ainsi qu’elle rejoint Mary Borden, une riche Américaine qui dirige l’Hôpital chirurgical mobile n°1 près de Roesbrugge en Belgique.

  Pendant son séjour en France, elle écrit une série de petits récits basés sur son expérience d’infirmière, qu’elle publie aux Etats-Unis en 1916 sous le titre Backwash of War. Tout comme le livre de Mary Borden, The Forbidden Zone, publié en 1929, son témoignage se démarque, aussi bien sur le fond que sur la forme, des journaux de bord et mémoires émanant habituellement du personnel soignant. Elle y recourt à une liberté de ton qu’une infirmière française ou britannique n’aurait pas osé utiliser. Le quotidien des soins est décrit avec un réalisme qui ne s’embarrasse pas de nuances. L’ironie est puissante et parfois dévastatrice. Les « héros » sont malmenés et la laideur de la guerre exposée à la lumière crue.

  Le livre n’est diffusé ni en France ni en Grande-Bretagne mais connaît un certain succès sur le marché américain, avec plusieurs réimpressions. Mais l’entrée en guerre des États-Unis et la propagande qui l’accompagne entraîneront la censure de Backwash of War à l’été 1918. Les autorités militaires estiment que les quatorze petits récits d’Ellen La Motte pourraient entamer le moral des troupes et des familles. Il faut attendre 1934 pour que le livre soit à nouveau édité. A cette époque, la politique isolationniste des États-Unis favorise tout livre dépeignant les effets dévastateurs de la guerre.

  En juillet 1916, Ellen La Motte quitte la France pour se rendre en Asie. Elle y observe les ravages du trafic d’opium et consacrera plusieurs ouvrages au sujet pendant les années qui suivent, devenant une spécialiste de la question. Tout au long de sa vie, Ellen La Motte a lutté pour la cause de la santé publique. Ses campagnes contre la tuberculose et l’usage de l’opium visaient, au même titre que son combat féministe, à favoriser l’avènement d’une société plus équitable.

Extrait :

(1) Les dialogues en italiques sont en français dans le texte.


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