
Fils d’aristocrates, Edward Tennant n’a que 18 ans quand il rejoint le front et participe à la bataille de Loos. Il écrit de nombreuses lettres à sa mère, à laquelle il est très attaché. Celle-ci publie un éloge de son fils dès 1917. Ces livres de deuil ont été nombreux entre 1914 et 1918. Ils permettaient aux familles de célébrer l’héroïsme de leur proche et de dire leur douleur. Le poème sur les jardins de Laventie est devenu un classique de la poésie des tranchées. |
Les jardins de Laventie
Né le 1er juillet 1897, Edward Wyndham Tennant, surnommé Bim, est le fils d’Edward Tennant, baronnet, et de Pamela Wyndham, également d’ascendance noble. Avant son mariage, Pamela Wyndham avait publié plusieurs livres. Elle restera par la suite très active dans la sphère culturelle, notamment au sein de The Souls, un club mondain qui se caractérise par son refus de toute discussion politique. Élevé dans l’atmosphère intellectuelle de ce milieu protégé, Edward rédige des poèmes dès le plus jeune âge. A l’école de West Downs, il se distingue au cricket et écrit pour le journal de l’établissement. En 1911, il entre au Winchester College, où il continue à se faire remarquer pour ses talents d’écriture. Au mois de juillet 1914, il s’apprête à partir en Allemagne pour parfaire ses connaissances linguistiques en vue d’une carrière diplomatique mais la guerre vient contrecarrer ce projet. Il souhaite s’engager mais comme il n’a que 17 ans, il lui faut une autorisation parentale pour rejoindre le 4e bataillon des Grenadier Guards. Edward passe la première année de la guerre à la caserne de Chelsea. Sa production poétique est très intense pendant cette période. A la fin de l’été 1915, son bataillon part pour la France. Les premières lettres adressées à sa mère montrent un garçon plein d’enthousiasme, heureux de participer à la « grande aventure » de la guerre. Mais la bataille de Loos produit un net changement d’attitude. Dans ses poèmes, il n’hésite plus désormais à remettre en question la notion d’héroïsme et à critiquer l’état-major.
En 1916, après une permission en Angleterre pendant laquelle il corrige les épreuves de ses propres lettres, il part pour le front d’Ypres. Ses poèmes commencent à paraître dans des journaux et des revues. Il est tué le 22 septembre dans la Somme alors qu’il préparait la publication d’un recueil intitulé Worple Flit and Other Poems, lequel paraîtra avant la fin de l’année. Le 10 octobre, une messe est célébrée en son honneur à Westminster. Un petit livret-souvenir est distribué à toutes les personnes présentes avec un portrait d’Edward Tennant par John Singer Sargent et une reproduction de la dernière lettre écrite à sa mère.
En 1919, Pamela Wyndham Tennant publie Edward Wyndham Tennant, a memoir by his mother, où elle retrace l’enfance et l’adolescence de son fils. Elle inclut également ses poèmes et les lettres qu’il lui a écrites pendant la guerre. Comme entre autres la mère de Roland Leighton et l’épouse d’Edward Thomas, Pamela Tennant a tenu à rendre hommage à celui qu’elle a perdu. Elle dédie l’ouvrage à toutes les mères qui ont subi la même perte. Ce genre de publication, s’inscrivant dans un processus de deuil, a le mérite de mettre à disposition du public l’ensemble des écrits d’un combattant. L’ouvrage est ample et documenté. Si les chapitres « biographiques » versent parfois dans l’hagiographie, d’autres laissent place aux documents bruts. Un chapitre entier est consacré aux lettres envoyées par les amis, les relations et les camarades combattants après la mort du défunt. Le flot de lettres qui parvient à la famille nous renseigne sur les protocoles aristocratiques en matière de deuil de guerre. Mais ce sont surtout les lettres du front qui constituent l’intérêt principal du livre. Elles nous permettent de suivre mois après mois le parcours du très jeune combattant et de découvrir une personnalité attachante. Edward Tennant informe sa mère des spectacles auxquels il participe, en qualité de chanteur, pour distraire les troupes. Il évoque régulièrement ses poèmes et lui demande de les juger. Certaines lettres, très touchantes, témoignent d’un amour filial qui s’exprime sans retenue.
La guerre des fils de familles aristocratiques a ses singularités et ses privilèges. Les permissions d’Edward sont assez fréquentes. En mai 1916, Pamela est sur le point d’accoucher. La famille demande alors à ce qu’Edward soit versé quelque temps à un poste sans danger pour éviter à sa mère l’angoisse de mauvaises nouvelles en provenance du front. Contre son gré, il accepte de devenir l’aide-de-camp du général Fielding. Au Q.G. divisionnaire, Edward profite d’une période où les dangers de la guerre sont momentanément écartés. Il côtoie ceux de son milieu et se rend régulièrement sur la côte, à Dunkerque, Calais ou Boulogne, pour dîner avec des amis et dormir dans des hôtels luxueux. La sœur d’Edward, Hester, meurt malheureusement à la naissance. Il est à nouveau affecté au front. Si les jeunes sous-officiers de sang noble ont pu parfois profiter de situations privilégiées, celles-ci n’étaient cependant que temporaires, et les dangers auxquels ils s’exposaient étaient aussi grands que ceux des soldats sous leurs ordres. De retour au combat, Edward est de plus en plus préoccupé par la publication de ses poèmes. Soucieux de la qualité de son écriture, il peaufine ses vers, sollicite l’avis de sa mère et établit des contacts avec les éditeurs. Comme beaucoup d’autres combattants-écrivains, il mise sur la littérature pour se libérer mentalement de l’emprise de la vie militaire. La poésie devient pour lui le véritable horizon de cette guerre où les idéaux du début ne sont plus qu’une peau de chagrin.
Edward Tennant est enterré au cimetière de Guillemont à proximité de Raymond Asquith, fils du Premier ministre, tué quelques jours avant lui lors d’une attaque à LesBoeufs.
Lettre :
20 septembre 1916
« … Ce soir, nous regagnons le secteur de tranchées que nous avons occupé il y a quelques jours. L’assaut est prévu pour demain. Comme notre brigade a moins souffert que les deux autres lors de l’attaque de vendredi (le 15), nous serons en première ligne. Je suis plein d’espoir et de confiance. J’espère que je serai digne de mes ancêtres combattants. Celui que je connais le mieux est Sir Henry Wyndham, dont le buste trône dans le hall du 44 Belgrave Square. Il y a également un portrait de lui dans l’escalier du 34 Queen Anne’s Gate. L’attaque portera probablement sur 1200 mètres de front mais nous aurons un tel soutien d’artillerie que la ligne boche sera vite hors d’état de nuire. Et même (ce qui est improbable) si l’artillerie n’est pas à la hauteur de nos attentes, l’esprit des Guards balaiera toute résistance. Que je suis fier de faire partie de ce régiment ! Quand je pense à tous les anciens Grenadier Guards qui se réunissent dans les clubs de Londres et misent tout sur nous ! Je n’ai jamais été aussi fier de quoi que ce soit si ce n’est de l’amour que vous me portez. Aujourd’hui est un grand jour pour moi.
Ce vers de Harry [Henry Cust] résonne en moi : Cœurs vaillants, verbe haut, exploits suprêmes, ‘sous les regards qui sont notre honneur’. Ce matin, j’ai assisté à une messe sur la colline et j’ai communié, ce qui me procure un précieux soutien. J’ai dormi comme une souche et j’ai rêvé qu’une personne que je connaissais très bien (mais je ne me souviens plus de qui) s’est approchée de moi et m’a dit que j’avais beaucoup grandi. Trois-quatre de mes frères officiers ont lu mes poèmes hier et les ont beaucoup aimés, ce qui m’a fait énormément plaisir. J’ai envie de dire Éloigne de moi cette coupe mais la suite triomphante, Cependant que ce ne soit pas ma volonté qui se fasse mais la tienne, me galvanise et me prépare à cette bataille. J’ai le cœur en triple bronze !
Quand nous partons au combat, je porte toujours quatre petites photos de vous sur moi, une dans mon carnet de poche, deux dans un livre de cuir et une autour du cou, sans oublier ma petite médaille de la Sainte Vierge. Mon amour pour vous et votre amour pour moi ont fait de ma vie une des plus heureuses qu’on puisse concevoir. J’entends en moi l’adieu de Brutus à Cassius : Pour jamais, adieu. Si nous nous revoyons, ce sera avec un sourire. Tous mes vœux vous accompagnent, à vous et à tous ceux que nous aimons. Que Dieu vous bénisse et vous donne la paix.
Amour éternel.
Bim
LE MAL DU PAYS À LAVENTIE Les verts jardins de Laventie ! Les soldats ne connaissent que la rue Où la boue, sans cesse pétrie, éclabousse Sous les pieds qui marchent au combat; Mais derrière une maison en ruines dort un petit carré d’herbe. Ne le manquez pas quand vous y passerez. Par-delà l’église dont le clocher grêlé Semble posé en équilibre sur une colonne De pierres branlantes et de briques incertaines Deux ruines sans toit se dressent, Et derrière ces épaves, là où devrait se dresser un mur de soutien, Nous avons trouvé un vert jardin. L’herbe n’y a jamais été foulée Ni la petite allée de gravier Envahie de chélidoine. Personne n’a jamais dérangé Cette belle végétation, si ce n’est la souris au trot alerte Qui voyage de maison en maison. C’est sur cette herbe généreuse Gorgée de tant de douceur Que nous nous sommes couchés, sans plus entendre Les avant-trains qui passent et repassent En une bruyante continuité Qui est elle-même une bataille. Enfin, après ce bienheureux repos de l’esprit, Nous nous sommes levés Et avons cherché dans ce petit jardin Une autre douce volupté; Quelques hautes jonquilles et fleurs de jasmin Sont alors venues reposer nos yeux las. La plus suave et la plus odorante De toutes les fleurs que nous avons trouvées Fut bien le daphné, il y en avait un petit massif Qui poussait sur une butte herbeuse. Elles étaient si nombreuses, leur parfum si divin Que nos coeurs s’en émurent. Affamé de printemps, je baissai la tête, Et reçus la senteur en pleine face, Toute mon âme se mit à danser, Dans ce petit espace plein de charme, Une danse au pas mesuré qui sied aux villes affligées Et qui me mena à mes chères collines d’Angleterre. Je vis de verts massifs de jonquilles, Des peupliers élancés sous la brise, De grands lièvres brun-roux dans la giboulée de mars Qui s’en allaient en parade nuptiale dans les pâturages; Les prés où coulent de scintillants ruisseaux, et la vandoise qui y frétille, Mon pays – toi qui es si parfait ! | HOME THOUGHTS IN LAVENTIE Green gardens in Laventie ! Soldiers only know the street Where the mud is churned and splashed about By battle-wending feet; And yet beside one stricken house there is a glimpse of grass, Look for it when you pass. Beyond the church whose pitted spire Seems balanced on a strand Of swaying stone and tottering brick Two roofless ruins stand, And here behind the wreckage where the back wall should have been We found a garden green. The grass was never trodden on, The little path of gravel Was overgrown with celandine, No other folk did travel Along its weedy surface, but the nimble-footed mouse Running from house to house. So among the vivid blades Of soft and tender grass We lay, nor heard the limber wheels That pass and ever pass, In noisy continuity until their very rattle Seems in itself a battle. At length we rose up from this ease Of tranquil happy mind, And searched the garden’s little length A fresh pleasance to find ; And there some yellow daffodils and jasmine hanging high Did rest the tired eye. The fairest and most fragrant Of the many sweets we found, Was a little bush of Daphne flower Upon a grassy mound, And so thick were the blossoms set and so divine the scent That we were all content. Hungry for spring, I bent my head, The perfume fanned my face, And all my soul was dancing In that lovely little place, Dancing with a measured step from wretched and shattered towns Away upon the Downs. I saw green banks of daffodil, Slim poplars in the breeze, Great tan-brown hares in gusty March A-courting on the leas; And meadows with their glittering streams, and silver scurrying dace, Home – what a perfect place ! |