Dorothie Feilding (1889-1935)

Fille du comte de Denbirgh, Dorothie connaît une enfance dorée. En 1914, elle rejoint un service ambulancier sur le front de l’Yser.  Quand elle n’est pas au volant de son véhicule, elle participe à des réceptions sur la côte où les officiers britanniques côtoient l’aristocratie belge.

Ambulancière en Flandre belge

Fille de Rudolph Feilding, comte de Denbirgh, et de Cecilia Mary Clifford, Dorothie passe son enfance au château de Newnham Paddox, dans le Warwickshire, en compagnie de ses neuf frères et sœurs. Après avoir reçu une éducation privée au château familial, elle est envoyée à Paris, au couvent de l’Assomption. Elle maîtrise de ce fait parfaitement le français. En 1908, elle est officiellement présentée au roi et à la reine lors du bal des débutantes dans la grande tradition britannique des protocoles aristocratiques.

Quand la guerre éclate, la fratrie Feilding veut apporter sa contribution à l’effort national. Rudolph, Hugh et Henry serviront sous les couleurs du drapeau britannique en qualité d’officiers. Un seul survivra. Clare, Elizabeth, Victoria et Dorothie accompliront quant à elles une mission humanitaire. Dorothie suit une brève formation d’aide aux premiers soins à l’hôpital de Rugby avant d’être engagée dans le corps ambulancier du docteur Munro en septembre. Au sein d’une équipe composée de jeunes femmes intrépides, elle connaît le tumulte des débuts de la guerre sur la côte belge. Côtoyant les officiers d’état-major et les membres de l’aristocratie, elle sait user de ses influences pour obtenir des dons ou contourner les difficultés administratives auxquelles peut se heurter une unité médicale privée. Pendant près de trois ans, Dorothie et ses collègues soigneront les blessés dans la région du front située entre Nieuport, Dixmude et Furnes, aussi bien dans les hôpitaux d’évacuation que dans les postes de secours proches des tranchées. A la fois infirmières et ambulancières, elles affrontent le danger au quotidien. Dorothie épaule notamment Elsie Knocker et Mairi Chisholm, qui s’occupent d’un poste de soins situé à Pervyse, dans la cave d’une maison en ruines située à portée des canons ennemis. Sa tâche éprouvante est cependant entrecoupée de moments beaucoup plus futiles. Les visites au Grand Quartier Général ou les réceptions dans les villas de la côte sont fréquentes et offrent un contraste bienvenu avec la réalité du front.

Dorothie écrit régulièrement à ses parents. Sa correspondance de guerre a été publiée en 2010. Il s’agit d’un document unique en son genre. Les lettres de Dorothie Feilding sont étonnantes à plus d’un titre. Leur style est vif, décousu, proche de l’oral. On sent parfois qu’elle écrit sous l’influence de la fatigue sans chercher à aboutir à un style épistolaire soigné. Les détails les plus divers et les commentaires en tous genres donnent l’impression d’une pensée qui se livre dans le désordre. Loin d’être un défaut, ce foisonnement rend compte d’une expérience multiple, reflet d’une guerre riche en contradictions. Dorothie est un personnage qui assume ses ambivalences. Issue de la haute société, elle n’en a pas moins un contact facile avec les soldats blessés. Téméraire et courageuse, elle ne rechigne pas à la tâche mais apprécie aussi les soirées entre gens distingués sur la côte ou dans le château des Brocqueville à Bourbourg. Son sens aigu des responsabilités ne l’empêche pas de verser à l’occasion dans un humour puéril, baptisant par exemple son ambulance Daniel ou s’attardant dans sa correspondance sur les frasques de son chien Charles. La spontanéité de ses lettres, dont la plupart sont destinées à sa mère, nous apporte un éclairage inédit sur le vécu d’une infirmière pendant la guerre. Il faut dire que le secteur de Flandre belge situé entre Dixmude et la côte ne ressemble pas aux autres et favorise les expériences contrastées. Dans cette portion de Belgique restée libre, toute une population hétéroclite – militaire, sanitaire ou autre –  mène une vie oscillant entre danger et désinvolture, héroïsme et petites habitudes aristocratiques. Les visiteurs prestigieux, hommes politiques ou écrivains, y sont nombreux. Avides de venir fouler le sol sacré de la petite Belgique, ils ne manquent jamais d’inclure dans leur périple la visite d’un hôpital de campagne et de saluer les infirmières issues de la bonne société, au rang desquelles Dorothie fait figure de modèle.

Pour son action auprès des blessés, Dorothie a reçu plusieurs décorations, dont la Croix de Guerre française, la Médaille Militaire britannique et l’Ordre de Léopold, que lui a remis en personne le roi des belges Albert Ier. Parmi les autres personnages importants que Dorothie a rencontrés ou côtoyés, citons l’amiral Ronarc’h, le général Hély d’Oissel, Alexander of Teck (frère de la reine Mary) et Robert de Brocqueville, fils du Premier ministre belge. Elle a vraisemblablement rencontré Jean Cocteau, qui faisait partie des services de la Croix-Rouge à Coxyde. On la devine aisément sous les traits d’Elisabeth Hart, dans Thomas l’imposteur.

Après deux ans passés au front, la fatigue est devenue telle qu’elle fragilise sa santé. Dorothie quitte la zone de guerre et repart en Angleterre. Elle épouse le capitaine Charles O’Hara Moore le 5 juillet 1917 et s’installe à Warley, dans le Middlesex, où est stationné le régiment de son mari, les Irish Guards. Elle reprend ensuite du service au volant d’une ambulance à Londres.

  Après la guerre, le couple s’installe au château ancestral des O’Hara Moore dans le comté de Tipperary, en Irlande. Ils auront cinq enfants. Membre actif de la Légion Britannique et de différentes associations caritatives locales, Dorothie mène la vie qu’implique son rang, s’adonnant régulièrement à un de ses loisirs préférés : la chasse. Elle meurt en octobre 1935, d’une crise cardiaque, à l’âge de 46 ans.

[Lettre à sa mère]

TOMMIES 14-18

Fièrement propulsé par WordPress