
Présente dans les hôpitaux de la côte d’Opale à partir de 1915, Clare Gass a laissé d’intéressants mémoires sur les structures sanitaires canadiennes, où la discipline était moins sévère que dans leurs équivalents anglais. |
Une infirmière canadienne à Boulogne
Née en 1887 à Shubenacadie, dans la province canadienne de Nouvelle-Ecosse, Clare Gass grandit dans un milieu aisé. En 1908, elle souhaite devenir infirmière et suit une formation à l’hôpital de Montréal. Quand la guerre éclate, elle rejoint les rangs de l’unité médicale de l’université McGill et part pour l’Europe en 1915. Deux de ses frères se sont déjà engagés, deux autres suivront.
Les services médicaux de l’université de McGill investissent un hôpital érigé sous toile à Camiers, près d’Etaples, en août 1915, avant de déménager près de Boulogne au début de l’année 1916. C’est principalement sur cette portion de littoral que Clare Gass dispense des soins pendant trois ans, mais sa mission sanitaire la conduit également dans un hôpital d’évacuation en Belgique et à deux reprises dans des hôpitaux situés sur le sol britannique. Après l’Armistice, elle accompagne les blessés entre les ports français et Halifax, et continue ce travail d’accompagnement sur le sol canadien tout au long de l’année 1919. En 1920, Clare Gass reprend les études puis entame une carrière dans les services sociaux à Montréal.
Agrémenté de nombreuses photographies prises par l’auteur en France, The War Diary of Clare Gass, 1915-1918, est publié en 2000. Si les entrées sont régulières pendant les premiers mois, elles tendent à s’espacer par la suite. Comme le veut l’exercice de diariste en temps de guerre, la matière reste très factuelle. Le document permet de relever les spécificités de l’expérience sanitaire canadienne. Comme les autres infirmières diplômées, Clare Gass a officiellement le rang de lieutenant. Elle peut ainsi donner des ordres à des caporaux et sergents, lesquels rechignent parfois à obéir. La discipline dans les hôpitaux canadiens est un peu moins sévère que dans leurs équivalents britanniques. Pendant les soirées organisées au mess, les infirmières sont autorisées à danser avec les officiers, chose impensable dans les structures britanniques.
Depuis une vingtaine d’années, l’exhumation de journaux d’infirmières canadiennes nous permet d’avoir une connaissance plus précise de l’expérience de ce contingent sanitaire pendant la Première Guerre mondiale. Au début des années 20, Margaret Macdonald, la superintendante du contingent d’infirmières canadiennes en Europe, essaya de regrouper des témoignages en vue d’une anthologie mais dut abandonner le projet. Les infirmières étaient réticentes à s’exprimer ou à livrer leurs journaux, considérant qu’il était préférable d’oublier. Restée célibataire, mais proche de ses neveux et nièces, Clare Gass n’a jamais évoqué la guerre à sa famille.
Extrait :
22 octobre 1915
Un tout jeune Néo-zélandais appelé Edney faisait partie du convoi. Un pauvre petit gars commotionné, au visage d’ange, que la guerre a marqué à tout jamais. Dans son sommeil, il ne cessait de crier « Reg ! » ou « On y arrivera, Reg ! »
Il y a un an, il s’est engagé avec son ami Reg en Nouvelle-Zélande. Ils formaient un duo de brancardiers. Au cours de la dernière action, Reg a été touché et a dû être remplacé par un autre brancardier. Après qu’Edney eut transporté le blessé avec son nouvel équipier dans un endroit sûr, il est revenu secourir son ami. Celui-ci était si faible qu’il ne pouvait plus marcher. Comme il n’y avait personne aux alentours pour l’aider, Edney a porté Reg sur son dos sur cinq kilomètres, jusqu’à ce qu’un énorme obus éclate près d’eux. Il a perdu connaissance et quand il s’est réveillé Reg était toujours à côté de lui mais la tête du pauvre gars avait été séparée du corps. Edney ne souhaitait qu’une chose : mourir à son tour. Quand d’autres brancardiers l’ont trouvé, ils lui ont ordonné de se rendre au poste de secours, lequel nous l’a envoyé. Comme il n’arrivait pas à trouver le sommeil ce soir, je suis restée assise près de lui un long moment et il m’a raconté sa triste histoire pendant que tout le monde dormait autour de nous. Nous avons tous deux versé quelques larmes et il s’est calmé. Je lui ai administré un soporifique, ce qui lui a permis de dormir tranquillement jusqu’à l’aube.
23 octobre
Nous avons appris tôt ce matin la mort soudaine d’une des infirmières de Chicago à Etaples : une méningite. Elle était encore de service avant-hier soir. Cette après-midi, Ruth et moi sommes allées à ses funérailles au petit cimetière. La cérémonie militaire a été un grand moment d’émotion.
Le petit cimetière a été aménagé entre deux dunes. Celle qui se dresse à gauche est recouverte de pins. C’est dans cette pinède que s’est rassemblée aujourd’hui une impressionnante congrégation pour rendre un dernier hommage à celle qui a perdu sa vie pour la « cause », après avoir prouvé sa valeur « en faisant tout ce qu’elle avait pu. » Sous le ciel clair et froid de l’automne, l’assemblée attendait. Elle était composée de quelques soldats britanniques dans leurs uniformes kakis, de pêcheurs d’Etaples aux visages burinés, d’infirmières aux voiles blancs, de paysannes du cru avec leurs bébés, de patients en uniformes bleus venus des hôpitaux proches, de filles de pêcheurs et de soldats français en capotes bleues et pantalons garance.