Bernard Adams (1890-1917)

Rien d’important – l’art britannique de l’understatement

Après de brillantes études, Bernard Adams compte s’installer en Inde mais la guerre en décide autrement. Il s’engage par sens du devoir sans toutefois montrer un enthousiasme débordant. Son témoignage, Nothing of Importance, refuse tout sensationnalisme et fait partie des textes importants issus du conflit. Il sera édité juste après sa mort.

              

Nothing of Importance a été publié en 1917, quelques mois après la mort de Bernard Adams. Il s’agit de la chronique des huit mois de présence de l’auteur au front entre octobre 1915 et juin 1916. Comme il le concède lui-même à la fin de sa préface, son récit ne relate rien d’exceptionnel dans la mesure où il ne couvre aucune action d’envergure. Il l’a entrepris pour essayer d’exprimer ce qu’il ne pouvait transmettre de vive voix. Comme pour de nombreux combattants, l’objectif n’était pas seulement de témoigner mais aussi et surtout de créer un lien a posteriori entre une série de moments désordonnés et contradictoires. On ressent à la lecture du livre une volonté évidente d’ordonner et d’analyser l’expérience combattante. L’ouvrage est édité avec le concours de la soeur de Bernard Adams. Le récit est suivi d’un « In Memoriam » typique des publications posthumes, éloge et biographie du combattant mort au combat. Du moins celui-ci, assez court, évite-t-il l’emphase. Les publications posthumes répondaient au besoin d’honorer immédiatement la mémoire de celui qui était tombé au champ d’honneur. Les lecteurs n’étaient pas forcément très nombreux. Nothing of Importance est un choix de titre typiquement britannique, qui inscrit l’auteur dans la lignée des écrivains-combattants refusant le sensationnalisme. Siegfried Sassoon a lu le livre peu de temps après sa parution et l’a offert à Wilfred Owen, autre grand nom de la littérature de guerre, preuve que cette chronique a été appréciée pour la pertinence de son propos par ceux qui étaient aptes à la juger. Si elle ne fait pas partie des œuvres phares du genre, elle n’en a pas moins toujours été appréciée pour la sincérité du regard qu’elle porte sur la réalité combattante.

               John Bernard Pye Adams est né le 15 novembre 1890 à Beckenham, dans le Kent. Après une brillante scolarité, il réussit l’examen d’entrée à l’université de Cambridge, où il se distingue en latin et en grec, avant de se consacrer à l’économie. Au terme de ses études, il est nommé conseiller d’éducation dans un centre d’hébergement pour étudiants indiens. Ce travail le passionne et lui fait découvrir la culture indienne. En 1914, il a l’intention de partir en Inde dans le cadre d’une mission humanitaire mais la guerre vient contrecarrer ce projet.

               Quand le conflit éclate, Bernard Adams hésite d’abord à s’engager. Comme de nombreux autres jeunes diplômés, il ne ressent aucune attirance pour la vie militaire. L’idée de combattre un ennemi contre lequel il n’a aucune animosité particulière lui déplait mais il juge néanmoins la cause valable. En novembre 1914, Bernard Adams rejoint un régiment gallois, le 1er Royal Welsh Fusiliers, et accède au rang de lieutenant. Il part au front en octobre 1915. Après avoir occupé le secteur de Cuinchy et de Givenchy, près de Béthune, son bataillon est transféré dans la Somme. Blessé en juin, il repart en Angleterre et ne revient en France qu’en janvier 1917. C’est pendant cette période de convalescence qu’il rédige Nothing of Importance. Ses huit mois passés en France y sont relatés dans le détail. Si aucune bataille majeure n’a été engagée par les forces britanniques pendant cette période, la guerre quotidienne des tranchées, avec ses corvées, ses patrouilles, ses coups de main et ses duels d’artillerie, n’en est pas moins meurtrière. Le récit qu’en fait Bernard Adams possède un style bien à lui, avec des touches originales, comme cet avertissement au début du chapitre VII où il invite le lecteur à passer son chemin s’il est allergique aux notions de topographie.

  Arrivé à l’automne 1915 dans le secteur de Cuinchy et de Givenchy, Bernard Adams connaît d’abord une période relativement calme. L’échec de la bataille de Loos a mis temporairement un terme aux actions offensives. La ville de Béthune l’impressionne particulièrement avec ses boutiques regorgant d’articles britanniques. Les cantonnements lui permettent d’observer la population française, notamment une famille de paysans particulièrement accueillante. Pour ces gens, la guerre « fait désormais partie de leur vie au même titre que le canal et les peupliers qui le longent. Ils ne tolèrent pas qu’une escouade à la manoeuvre piétine leur carré de laitues et ne montrent aucun intérêt pour les réalités militaires. En fait, ils se contentent d’éprouver une immense fatigue. Après quelque temps, nous finissions par adopter la même attitude.« 

  Adams décrit les villages et les paysages avec un souci de détail que l’on retrouvera dans le classique d’Edmund Blunden : Undertones of War. Des cartes et croquis de tranchées illustrent le récit. La plaine humide des environs de Festubert lui donne le cafard et c’est avec joie qu’il apprend le départ du bataillon vers les terres crayeuses et vallonnées de la Somme, qui lui évoquent davantage son Kent natal. Arrivé dans le nouveau secteur, il profite de quelques semaines au repos dans le village de Montague, où les rapports avec les habitants sont tout aussi bons que dans le Béthunois. Son récit, écrit quelques mois aprsè les faits, possède une « distance proche » que n’ont ni les journaux de bord rédigés au coeur de l’action ni les mémoires rétrospectifs écrits des années après le conflit. Il en joue, utilisant de larges extraits de ses lettres et de son journal, qu’il n’hésite pas à commenter pour souligner leur naïveté et ou insister sur les changements de perspective, ce qui nous offre plusieurs points de vue sur une même réalité. La sensation « onirique » sur laquelle il revient à plusieurs reprises est une façon de rendre compte de l’étrangeté du vécu des soldats : « Je vivais à l’époque dans une sorte d’irréalité, même si à d’autres moments la vie était on ne peut plus réelle; et ce n’est que maintenant, quelques mois après, que ces journées se fondent petit à petit dans un rêve. Quoi qu’il en soit, si le lecteur trouve les pages suivantes monotones, qu’il essaie de leur donner la couleur du conte et d’imaginer qu’une sorte de sort a été jeté sur ces lieux où se fait la guerre. »

  Mais après la période de repos, la réalité sanglante de la guerre des tranchées reprend ses droits avec ses corvées, ses patrouilles, ses coups de main, ses duels d’artillerie et ses explosions de mines. Affecté dans le secteur de Bois Français, Adams est confronté à la mort de camarades proches. Comme chez de nombreux combattants, cette épreuve marque un point de non retour, qu’il tente d’analyser (extrait 2).*

               Le 26 février 1917, Bernard Adams est blessé au cours d’un assaut et meurt le lendemain dans un hôpital de campagne. Son corps est enterré au cimetière militaire de Couin (Pas-de-Calais).

Extrait :

TOMMIES 14-18

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