
Surnommé «Happy Days » en raison de son optimisme à toute épreuve, le père Williamson a été aumônier auprès des troupes britanniques pendant un an et demi. Ses mémoires constituent un document riche en informations. Le chapitre XIV où il relate l’aide spirituelle qu’il apporte à un déserteur condamné à mort est particulièrement émouvant. |
Un aumônier catholique sur le front
Après avoir été architecte Benedict Williamson devient prêtre. Il arrive en France en mai 1917, où il sera attaché jusqu’à la fin de la guerre aux 45e et 47e divisions. Son optimisme à toute épreuve lui vaut rapidement le surnom de « Happy Days ». Dans l’introduction de ses mémoires de guerre, publiés en 1921, le lieutenant Rowland Feilding, par ailleurs auteur de War letters to a wife, dresse un portrait enthousiaste de cet aumônier catholique : Il semblait vivre dans un monde où le soleil ne cessait jamais de briller, un monde dépourvu d’ombres. Il remplit sa mission et fit face aux horreurs du champ de bataille avec une simplicité enfantine, qui inspirait les vivants et apportait du réconfort aux agonisants.
Ce commentaire flatteur n’est pas habituel dans les témoignages de combattants. Les griefs que les soldats entretenaient envers les hommes d’Église étaient en effet nombreux. Le fait que les aumôniers étaient non-combattants, contrairement à leurs homologues français, était parfois ressenti comme une injustice. Si l’Église catholique formait une unité homogène, ce n’était pas le cas pour l’Eglise anglicane, divisée en plusieurs confessions, parfois rivales. Les attitudes prosélytes agaçaient fortement. Quant aux messes organisées dans les camps de l’arrière, les combattants n’avaient pour la plupart aucune envie d’y participer.
En fait, la position de l’aumônier a toujours été des plus inconfortables tout au long de la guerre. S’il portait des insignes d’officier, il n’avait officiellement aucun statut et les autorités ne souhaitaient pas qu’il soit en première ligne. Comme il ne pouvait réellement s’intégrer ni dans l’univers des officiers ni dans celui des hommes du rang, il faisait parfois figure de paria. Son rôle a toutefois évolué au cours de la guerre, avec une diversification accrue de ses fonctions. Les aumôniers célébraient les messes et donnaient la communion avant les batailles. Ils accomplissaient les rites associés à la mort. A ces occupations cérémonielles s’ajoutait le réconfort que pouvait apporter l’homme de Dieu aux soldats, particulièrement aux blessés.
Si les commentaires des combattants vis-à-vis de leurs aumôniers sont majoritairement négatifs, un certain nombre de mémoires font toutefois mention d’aumôniers qui sortaient du lot. Guy Chapman rapporte le cas d’un aumônier catholique qui avait escaladé le parapet pour aller apporter son soutien à trois soldats irlandais gisant dans le no man’s land. Relatant ce fait, l’auteur de A passionnate Prodigality en profite pour établir une différence nette entre aumôniers catholiques et anglicans : Ces prêtres catholiques nous impressionnaient. Je n’ai jamais entendu le père Leeson parler une seule fois de religion en ma présence; mais on sentait chez lui une sérénité et une foi que ne possédaient pas nos pâles pasteurs anglicans. En matière de soutien, ces derniers en faisaient autant que n’importe quel laïc. Avec l’Église catholique, les hommes partaient au combat mentalement et spirituellement purifiés. L’Église anglicane ne savait qu’offrir des cigarettes. Avec son expérience de la propagande, l’Eglise de Rome envoyait ses prêtres sur le front même. L’Eglise anglicane interdisait quant à elle à ses aumôniers d’aller plus avant que les Q.G. de la brigade.
Il semble que Benedict Williamson se soit distingué par sa proximité avec les soldats et qu’il ait laissé une excellente impression au sein de la troupe. Ses mémoires, d’un style alerte et dénué de tout didactisme, nous invitent à suivre le parcours ordinaire d’un homme d’Église dans la tourmente de la guerre. Ayant officié en Flandre et dans la Somme, Benedict Williamson nous décrit avec précision les lieux où se sont battus et où ont été cantonnés les combattants des unités auxquelles il était attaché. L’intérêt documentaire de Happy Days in France and Flanders n’est pas un de ses aspects les moins réussis.
Le chapitre XIV est consacré à un soldat exécuté pour désertion. Il s’agit du 2nde classe Patrick Murphy, Irlandais, abattu le 12 septembre 1918.
Après la guerre, Benedict Williamson occupe un poste au Vatican et meurt à Rome en 1948.
Extrait de Happy Days in France and Flanders, 1921
ABATTU À L’AUBE (Chapitre XIV)
Le mercredi après-midi, je reçus un appel urgent émanant du Quartier Général divisionnaire de Labeuvrière. Un side-car m’attendait. On me pria d’emporter quelques affaires personnelles car il me faudrait passer la nuit sur place. Je n’eus aucune autre explication. Je me mis donc en route et atteignis le Quartier Général un quart d’heure plus tard. Là, je rencontrai l’aumônier divisionnaire et un membre du Q.G., qui me demandèrent d’apporter mon soutien à un des jeunes soldats catholiques de la division qui venait d’être condamné à mort et qu’on allait fusiller le lendemain à l’aube.
Je vis ensuite le prévôt, un homme au grand coeur, qui était très affligé par cette affaire, comme l’étaient je crois tous ceux présents sur place. Il y a en effet une très grande différence entre le spectacle des troupes massacrées au champ de bataille et celui d’un homme que l’on a décidé d’abattre de sang-froid, comme c’était en l’occurrence le cas.
Je rencontrai le jeune soldat juste après son transfert dans une des dépendances du vieux monastère, où on avait décidé qu’il passerait sa dernière nuit. La tour grise de style roman s’élevait au-dessus des toits des bâtiments monacaux. Elle était désormais à l’abandon. La nuit froide, la pluie drue et l’humeur générale de la Nature semblait étrangement en harmonie avec le drame douloureux auquel je devais assister sous peu. La porte de l’abri était en ferronnerie ajourée; dehors, les sentinelles avaient leurs baïonnettes au canon.
Le jeune soldat, qui avait à peine vingt ans, s’était engagé dès le début de la guerre. Il s’était plus d’une fois soustrait à la discipline militaire, animé d’un désir incontrôlable de vagabonder là où il ne fallait pas. « Ce n’était pas que j’avais peur, mon père, me dit-il en relatant son dernier exploit. Il n’y avait aucune raison d’avoir peur : ça ne bombardait pas à ce moment-là. »
Il était un peu sous le choc de l’émotion : il venait d’apprendre que la sentence serait portée à exécution de lendemain matin.
Il se confessa longuement. Je lui donnai l’absolution, puis, agenouillé sur le dallage de pierre, il reçut Notre Seigneur en manifestant une grande dévotion. Nous parlâmes quelque temps, puis, tandis que je m’apprêtais à le quitter, il me dit avec ferveur : « Je suis heureux d’être catholique, mon père, et je n’ai pas peur de mourir. » Je lui promis de revenir plus tard pour voir comment il se sentait et parler à nouveau avec lui si jamais il ne dormait pas. Je revins vers onze heures; les nuages filaient dans le ciel, le vent gémissait dans les arbres et la pluie tombait à verse tandis que je montais la colline pour regagner le vieux monastère.
Quand j’arrivai, le jeune homme était endormi. J’étais à peine reparti qu’un des hommes me rattrapa pour me dire qu’il venait de se réveiller. Je revins m’asseoir à ses côtés. Il me fit part de ses dernières volontés et je passai quelque temps à l’encourager en vue de la terrible épreuve qu’il devrait subir si prochainement. La scène me fit penser à l’époque des martyres. Le jeune homme était merveilleusement calme et résigné. Pas une seule plainte. Il avait toute confiance dans l’amour infini et la bonté de Dieu.
Je le quittai et retournai à mon cantonnement. Je restai allongé tout habillé jusqu’à quatre heures, heure à laquelle je fus appelé, avec l’officier du peloton d’exécution, pour assister à l’acte final de cette bouleversante tragédie.
Le jeune homme était réveillé et attendait ma venue. Le temps qui régnait ce matin-là s’accordait parfaitement au décor, le vent poussait des plaintes lugubres autour du vieux bâtiment, la pluie battait le sol avec un remarquable acharnement.
Sitôt que je fus entré dans la cellule, il s’agenouilla pour recevoir le Saint Viatique. Notre Seigneur lui apporterait la force nécessaire pour quitter le temps des mortels et rejoindre l’éternité.
J’avais beaucoup prié notre petite soeur Sainte Thérèse pour qu’elle prenne ce garçon sous sa protection et lui donne la force et le courage dont il avait suprêmement besoin. Je fus exaucé.
Nous récitâmes ensemble les prières des morts et continuâmes à nous entretenir des choses de ce monde qui serait bientôt le sien. Les pas qui approchaient nous annoncèrent ensuite que le moment était venu. Le prévôt et le docteur entrèrent alors. Le jeune homme ne souhaitait pas avoir les yeux bandés. « Je n’aurai pas peur, » me dit-il. Mais il s’y soumit sans rechigner quand il comprit que cela faisait partie des formalités d’usage. On lui attacha les mains dans le dos, nous étions prêts à nous mettre en route. « Où est le prêtre ? » demanda-t-il. « Je suis là, juste derrière toi, mon garçon, » répondis-je. Les ordres cinglants furent prononcés et nous partîmes vers le lieu d’exécution.
Il s’y dirigea d’un pas vigoureux et prit place contre le mur tandis que le peloton d’exécution se déployait devant lui. Debout à ses côtés, je récitai avec lui les dernières prières, puis suivant le rite il invoqua trois fois le nom de Dieu avec une grande ferveur. « Au revoir, mon père, » me dit-il aussi calmement que s’il prenait congé de moi après la messe du dimanche matin. J’entendis le bref ordre d’exécution, et tandis que je m’écartais, les fusils retentirent à l’unisson dans l’air du matin. Sa tête retomba sur sa poitrine. Son âme s’était libérée de la contrainte du temps, elle rejoignait l’éternité.
Je m’approchai de lui pour le bénir. Son corps était encore chaud. On fit venir un brancard, on l’enveloppa dans des couvertures et on le transporta dans une ambulance toute proche. Quelques minutes plus tard, nous prenions le chemin du petit cimetière britannique, où son corps fut porté en terre avec les sacrements de notre sainte mère l’Eglise.
La mort du jeune homme et le beau courage dont il fit preuve impressionnèrent beaucoup tous ceux qui assistèrent à cette triste scène. Par son comportement, il avait témoigné avec force du pouvoir de la religion catholique dans les circonstances les plus terribles.
Je n’ai jamais de ma vie assisté à une mort plus consolatrice. J’avais ressenti avec une certitude absolue qu’il rejoignait Dieu.
Bien que je ne doute pas que son âme, participant à la Rédemption du Sang versé par notre Seigneur, ne soit déjà dans la félicité du face-à-face avec Dieu, je demande au lecteur de se souvenir dans ses prières de l’âme de ce petit soldat abattu à l’aube.