
D’origine aristocratique, Maurice Baring occupe un poste important à l’État-major de l’armée de l’air. Après guerre, il mène une vie de dandy dans les milieux mondains. |
L’Etat-major de l’armée de l’air
Huitième enfant d’Edward Baring, banquier qui devient en 1885 le premier baron de Revelstoke, et de Louisa Bulteel, petite-fille du deuxième comte de Grey, Maurice Baring suit un cursus classique à Eton et Cambridge. Il quitte toutefois l’université avant d’obtenir sa licence. Grâce à son don pour les langues, il intègre les services diplomatiques en 1898 et devient attaché d’ambassade à Paris, Copenhague et Rome, mais démissionne de son poste en 1904 pour se consacrer au journalisme.
Il couvre la guerre russo-japonaise pour le Morning Post et publie le récit de cette expérience en 1905 : With the Russians in Manchuria. Après des séjours à Saint-Pétersbourg et Constantinople, il rejoint la rédaction du Times et devient correspondant de guerre dans les Balkans.
Dès le début de la Grande Guerre, il s’enrôle dans le Royal Flying Corps et occupe la fonction d’assistant auprès des généraux Hugh Trenchard et David Henderson. En 1918, il sera officiellement intégré à l’état-major de l’armée de l’air.
Après la guerre, il connaît le succès en tant qu’auteur dramatique et écrit également des romans. Figure incontournable des milieux littéraires et mondains de l’entre-deux-guerres, membre de clubs et d’associations tels que les Apôtres de Cambridge et la Coterie, Maurice Baring était réputé pour son caractère farceur et son anti-intellectualisme.
Ses mémoires de guerre, Royal Flying Corps Headquarters 1914-1918, ne se distinguent pas par l’originalité de leur style. Il s’agit toutefois d’un document riche en informations sur le type d’activités menées dans les quartiers généraux et plus généralement en arrière du front. On peut aussi y observer l’évolution de l’aviation sur plus de quatre ans. Ce qui frappe en premier lieu dans cet ouvrage est la mobilité des membres des Q.G. Les déplacements entre différents points du front sont quasi quotidiens. Le nombre impressionnant de localités citées indique que la géographie du Nord de la France et de la Flandre belge n’a plus des secrets pour les officiers d’état-major britanniques.
Maurice Baring a également écrit de la poésie de guerre, notamment un long poème intitulé In Memoriam, en l’honneur d’Auberon Herbert, pilote abattu en novembre 1916 au-dessus des lignes allemandes.
Le premier extrait, récit d’une distribution de whisky aux artilleurs du secteur d’Ypres, montre la liberté d’action dont jouit Baring en sa qualité d’officier d’état-major. Le second relate la mort d’un ami mort au combat, thème récurrent dans les mémoires de guerre, qu’ils soient écrits par de simples soldats ou des officiers d’état-major. Mais ici l’ami en question est un officier Allemand que Maurice Baring a connu en Russie.
Extraits
Le 2 juin [1915], j’étais occupé à censurer des lettres à mon bureau de Saint-Omer quand Simpson, un artilleur que l’on venait d’intégrer à notre service, est entré et m’a demandé de l’accompagner au magasin Félix Potin. Il voulait apporter du whisky à ses camarades mais on avait refusé de lui en vendre. Nous sommes donc allés ensemble au Félix Potin et j’ai pu acheter tout le whisky dont il avait besoin. Il m’a ensuite demandé si je souhaitais me rendre avec lui aux batteries près d’Ypres et j’ai accepté l’invitation.
Après avoir distribué une partie de notre whisky à plusieurs batteries, nous avons jugé intéressant de pénétrer dans Ypres. Quand nous sommes arrivés à proximité de la ville, nous avons ressenti le poids soudain du silence : ce silence si particulier qui s’installe quand on franchit la ligne où la routine de la vie ordinaire cède le pas aux activités propres au combat.
Des troupes passaient sur la route à vive allure. A n’en pas douter quelque chose d’inhabituel était en cours. Nous avons pris une petite rue sur la gauche et avons demandé des informations à un sergent, qui nous a dit que ça bardait plus loin. Nous aurions été plus avisés de rester sur la rue principale, car notre ruelle était copieusement arrosée de shrapnels et d’obus explosifs. Nous avons tout de même continué. Ypres était désert. Après avoir rapidement exploré les lieux, nous sommes repartis par la rue de Dickebush pour continuer notre distribution de whisky aux batteries. Nous avons poursuivi sur Neuve-Eglise puis sur Plusgstreet avant d’arriver à Armentières, qui était également désert. Après avoir donné ce qui nous restait d’alcool aux officiers de la première batterie sur laquelle nous sommes tombés, nous sommes revenus à Saint-Omer en battant tous les records de vitesse.
[….]
Le 9 juin, je reçus un télégramme m’annonçant la mort d’un ami très cher, Pierre Benckendorff, le deuxième fils du comte Benckendorff, ambassadeur à Londres.
Je l’avais accompagné à la gare de Moscou quand il était parti pour la guerre en Mandchourie. Lorsque j’étais moi-même arrivé en Mandchourie, je l’avais revu. Peu de temps après, il avait été porté disparu suite à une mission de reconnaissance. L’annonce de sa mort me fut même officiellement confirmée. Mais je ne croyais pas qu’il eût été tué. Cette fois, cependant, le doute n’était plus permis. Un soldat qui était avec lui au moment de sa mort pouvait témoigner qu’il avait souri avant d’expirer.
Quand je reçus cette nouvelle, je ressentis ce que, hélas, nous devions ressentir si souvent pendant la guerre : une mort particulière terminait un chapitre de notre vie, un chapitre qui avait été unique et ne se répéterait jamais.
« Tout cela est terminé. » C’est ce que je me suis dit quand j’ai appris que Pierre était mort, et je voudrais dans ces pages honorer sa mémoire. Il était associé plus que n’importe qui aux jours heureux que j’avais passés en Russie. Il était un des êtres humains les plus intelligents qu’il m’ait été donné de rencontrer. Dénué de toute ambition, préférant par-dessus tout la vie au grand air : la chasse et toutes formes d’expéditions synonymes d’aventure.
Il refusait de parler anglais, même s’il comprenait très bien la langue et avait une prononciation parfaite, et parvint à me cacher le fait que jusqu’à ses dix-neuf ans il s’exprimait avec facilité en français. Il aimait lire les contes de Gogol, les traductions russes de Sherlock Holmes et les traductions allemandes de Mark Twain. Il me demandait de lui lire ce dernier (en allemand) pendant des heures, et riait régulièrement sans pouvoir se contrôler, en raison des histoires elles-mêmes mais aussi de ma diction et de mon accent peu teutoniques. Il possédait un sens de l’humour qui me ravissait, un humour pour lequel rien n’était trop stupide. Il s’amusait à des jeux complètement idiots. Nous pouvions passer des heures à dessiner des choses qui ne ressemblaient à rien ou à inventer des airs au piano. Mais c’est au grand air qu’il était le plus heureux ; quand il tirait des canards à l’aube ou guettait les loups dans la neige. L’année précédant la guerre, il partit en Italie après avoir été gravement malade, et ne cacha plus son goût pour les oeuvres d’art, de l’Antiquité ou de toute autre époque.
[….]
Dans un article de politique étrangère, paru dans une revue locale russe, l’auteur, un professeur de renom, avait écrit en référence à une des nombreuses crises balkaniques d’avant 1914 : « Si nous avons échappé à la guerre, nous le devons à notre ambassadeur à Londres, qui est le plus grand gentleman d’Europe. » Pierre était le digne fils de ce père exceptionnel. Il possédait une faculté de raisonnement qui était un don de Dieu.