William Ratcliffe, 19 ans, fait partie des 20 000 morts du 1er juillet 1916. Comme tous ses camarades, il a écrit de nombreuses lettres. Une d’entre elles a été choisie pour être insérée dans une anthologie. |
Partout, l’oeuvre de Dieu est abîmée par la main de l’homme.
Le sous-lieutenant William Henry Ratcliffe a été tué le 1er juillet 1916, premier jour de la bataille de la Somme, comme plus de 20 000 autres combattants britanniques. Son corps repose au cimetière Dantzig Alley, à Mametz (80). Ce jeune soldat de 19 ans n’a pas écrit de journal de bord ou de poèmes mais une de ses lettres a été publiée dans l’anthologie Letters from the front de John Laffin, lequel précise simplement que William Ratcliffe était étudiant en chimie. Le mérite de ces anthologies est de mettre en lumière les anonymes, dont la production épistolaire s’avère bien souvent de grande qualité. La lettre qui suit est la dernière qu’il a envoyée à ses parents. Elle est à bien des égards d’un grand intérêt et prouve que les combattants ne craignaient pas toujours la censure, sachant que les officiers qui en étaient chargé ne pouvaient, ou ne souhaitaient pas, lire l’ensemble des lettres. Les griefs de Ratcliffe à l’encontre de l’armée sont clairement énoncés. Ses considérations sur la mutilation des paysages ont la même véhémence. L’amertume et la désillusion du jeune soldat en cet été 1916 reflètent l’état d’esprit de la plupart des combattants britanniques.
Juin 1916
… Un autre dimanche est arrivé, et pour l’instant il n’a pas plus l’air d’un dimanche que celui de la semaine dernière. Une cérémonie religieuse était prévue ce matin mais elle a été annulée, à moins qu’elle ne soit simplement reportée de quelques heures. De ce fait, j’ai occupé ma matinée à lancer des grenades.
Si ceux qui veulent abolir le jour de repos en Angleterre venaient faire un tour ici, ils comprendraient vite sa nécessité. Outre les considérations spirituelles, un jour de repos serait une perspective à laquelle nous pourrions nous accrocher. Il briserait la monotonie et la routine abrutissante qui nous gâchent la vie. Bien sûr, tout le monde s’accorde à dire qu’il est impossible de donner un jour de repos au Corps de Service, pas plus qu’aux hommes occupant les tranchées. Mais pourquoi un bataillon qui a quitté la première ligne pour une période de repos ne pourrait-il pas y avoir une pause d’une journée ? A quoi sert-il de reconduire sans cesse les exercices d’entraînement ?
Je lisais un article dans une des revues que vous m’avez envoyées qui essayait de prouver que cette guerre avait un effet positif sur nos cerveaux. Elle nous rendrait même plus dévots qu’avant. Pendant que j’étais à Jersey, j’estimais que c’était le cas et je crois vous l’avoir dit dans une lettre, tout en mentionnant que Ian Hamilton avait écrit sur le sujet. Mais maintenant que je suis ici, je dois avouer que je suis en désaccord presque complet avec lui. Je pense désormais que la guerre a un effet avilissant sur l’esprit des soldats.
Que fait-on pour que les soldats sortent de l’ornière ? Partout, on ne voit que des préparations au meurtre ; presque chaque personne que l’on rencontre est sale et porte sur elle les instruments de la destruction. La campagne et les beautés de la nature, qui, comme vous le savez, ont toujours eu un effet bénéfique sur l’homme, sont souillées par la poussière et la boue des camions si elles ne sont pas défigurées par d’immenses camps.
Partout, l’oeuvre de Dieu est abîmée par la main de l’homme. On regarde un coucher de soleil et pendant quelques instants on se dit que lui au moins a conservé toute sa pureté, mais un aéroplane se pointe et puff ! puff ! toute la scène est gâchée par les nuages de fumée des shrapnels !
Il faut que vous sachiez que les hommes qui font la guerre abritent une bestialité qu’ils n’avaient pas en temps de paix, et ce malgré l’opinion générale qui prétend le contraire….