Dès le mois d’août 1914, Kate Finzi se porte volontaire pour servir dans la Croix-Rouge, à Ostende, puis dans le Boulonnais. Son témoignage, Eighteen Months in the War Zone, paraît en 1916. Il s’agit d’un document précieux sur les débuts difficiles des services hospitaliers britanniques sur les côtes françaises. |
Les débuts chaotiques du système hospitalier
Née en 1890 dans une famille de négociants juifs, Kate Finzi bénéficie pendant son enfance d’un environnement culturel privilégié qui lui permet d’acquérir des valeurs esthétiques sûres, tout comme ses frères, dont Gerald, qui deviendra un des plus grands compositeurs britanniques du XXe siècle. A l’adolescence, elle se rend régulièrement sur le continent avec sa mère, ce qui lui permet de parfaire son français et son allemand. Cette jeunesse dorée connaît toutefois de dures épreuves entre 1909 à 1913 : la mort de son père et de deux de ses frères. Quand la guerre éclate, la mère de Kate est en Suisse avec les deux garçons qui lui restent. Kate, qui a 24 ans, est seule à Londres.
Le 7 août 1914, Kate Finzi se porte volontaire pour servir dans la Croix-Rouge. Elle part à Ostende pour venir en aide aux réfugiés belges puis intègre la YMCA à Boulogne au mois d’octobre. Les combats de l’automne sur la côte amènent un flot régulier de blessés dans les hôtels et les casinos du Boulonnais, transformés en hôpitaux. Par la suite, Kate Finzi postulera pour un poste à Malte et épousera le lieutenant Alexander Gilmour en mai 1917. Le malheur continue cependant de la frapper durement, avec la mort au combat d’un autre frère.
Son témoignage d’infirmière militaire paraît dès 1916. Eighteen Months in the War Zone : The Record of a Woman’s Work on the Western Front est un document essentiel sur les débuts chaotiques des services hospitaliers à l’automne 1914. En plus des hôtels et des casinos, des entrepôts désaffectés sont également convertis en unités médicales. Mais ceci ne suffit pas à couvrir les besoins de l’armée britannique. Quelques mois plus tard, de grands camps de tentes et de baraques seront érigés le long du littoral français pour pouvoir accueillir les blessés ne pouvant pas être rapatriés en Grande-Bretagne.
Extrait de Eighteen Months in the War Zone :
Laissez-moi vous conter les débuts de l’hôpital général n°13. Cette histoire devrait passer à la postérité pour illustrer l’esprit de débrouillardise des Britanniques, même si elle révèle aussi le manque de préparation dont nous savons aussi parfois faire preuve. Rien dans les annales de l’Histoire n’est équivalent à l’holocauste et au chaos de la guerre moderne, où tout doit être appris au jour le jour et dans la douleur.
Tout commence par une immense grange de bois dont le sol de ciment fissuré est couvert de poussière. Le toit de verre ne vaut guère mieux. Cassé de toutes parts, il laisse à peine passer la lumière. Ce n’est en rien un site idéal pour un hôpital mais c’est ce que nous avons de mieux à portée de main. Les blessés ont commencé à s’y entasser avant même que le toit ne soit réparé et les murs ont été blanchis à la chaux. Ce n’était pas grand-chose mais nous étions à l’abri de la pluie et nous y avions moins froid qu’à l’air libre.
Les infirmiers y travaillaient jour et nuit, se partageant entre les travaux d’aménagement et les soins. Une petite Anglaise solitaire qui se trouvait dans les parages avait offert ses services et faisait de son mieux pour soigner seule les blessés. Un jour, le major rencontra des infirmières de la Croix-Rouge sur les quais. Comme ces femmes qualifiées attendaient une affectation, il les prit en charge, tout comme il avait pris possession de la grange.
« Venez vous aussi, toute aide est la bienvenue », me dit l’une d’entre elles. Et c’est ainsi que je commençai à travailler dans la première structure d’évacuation de la base.
Il n’y avait donc que six infirmières qualifiées et moi-même pour soigner les milliers de blessés qui étaient susceptibles d’arriver chaque jour. Le personnel masculin était composé de médecins militaires, d’infirmiers et de deux-trois chirurgiens de la Croix-Rouge. Nous avions aussi des femmes médecins.
Nous n’avions que dix lits et des sacs de paille. La table de soins se résumait à quelques planches posées sur deux valises. A une extrémité, les hommes aménageaient trois baignoires improvisées pendant que d’autres badigeonnaient les murs.
Au moment où je commençai mon service, un navire de blessés venait de partir pour l’Angleterre et nous devions préparer un repas pour ceux qui étaient restés.
Ce fut une véritable prouesse d’obtenir des infirmiers le thé nécessaire tant ils étaient épuisés après avoir travaillé toute la nuit. Le plaisir que montraient les blessés à manger du pain et à lire de vieux journaux était tout simplement surprenant.
Ceux qui en étaient capables se regroupèrent autour du poêle. De grands gars barbus, mal dégrossis, couverts de la boue des tranchées où ils vivaient depuis des semaines. Comme ils étaient différents de ceux qui avaient débarqué quelques mois auparavant !
(…)
Après le thé, nous préparâmes les « lits » pour les nouveaux arrivants. Quatre trains entiers étaient attendus. Dix lits pour mille blessés ! Cela peut paraître incroyable mais ce n’en est pas moins vrai. Nous n’avions que quelques palettes à notre disposition et une quantité limitée de couvertures. Il en fallait deux pour chaque lit, une en dessous, une au-dessus, avec la capote du soldat en guise d’oreiller. Tel était l’ordre du jour avant l’époque où nous pûmes disposer de matelas.
30 octobre
Nous avions travaillé jusqu’à minuit et le lendemain nous étions d’attaque dès 7h30. De notre cantonnement à l’hôpital, nous devions marcher pendant presque une demi-heure sur des pavés glissant de pluie, ce qui était loin d’être une sinécure. Mais cette marche avait l’avantage de débarrasser nos narines de l’odeur prégnante des effluves de gangrène.
Le pire, c’était les plaies infectées. Il nous était impossible de les désinfecter correctement et la septicémie finissait toujours par s’installer.
« Je ne me suis pas déchaussé depuis sept semaines ! » était le genre d’exclamation que l’on entendait à longueur de journée. Nous devions littéralement découper les bottes pour dégager les pieds. Elles restaient collées à la peau, les pieds étaient durs comme fer et les ongles ressemblaient à des griffes.
Certains pansements n’avaient pas été renouvelés depuis le poste de secours pour la simple raison que dans les trains-hôpitaux on ne traitait que les cas graves. La plupart de ces derniers mouraient de leurs hémorragies, en partie dues aux cahots du train.
Nous ne pouvions nous consacrer qu’aux pansements. Si nous voulions laver les blessés, nous n’avions à notre disposition que les mouchoirs rouges utilisés la nuit pour tamiser les lampes.
L’eau, et en particulier l’eau bouillie, était une denrée rare, car il fallait aller la chercher à l’extérieur, auprès du vieux cuisinier qui besognait tout au long de la journée sous la pluie battante. Il ne nous en donnait qu’avec parcimonie.
« Je n’avais jamais imaginé assister à de tels spectacles », nous confia une infirmière qui avait pourtant trente ans de service. Mais nous n’avions pas le temps de nous attarder sur ce que nous ressentions.
Des mains sans doigts, des poumons perforés, des bras et des jambes dévorés par la gangrène, d’autres où menaçait le tétanos (nous avions juste commencé à inoculer les patients), des visages défigurés, des fémurs fracturés, des mâchoires brisées, des yeux qui ne voyaient plus, de laides lésions crâniennes ; et pourtant jamais un murmure ou un gémissement sauf pendant le sommeil. Quand ils arrivaient, les hommes s’endormaient sur leurs palettes et ne se réveillaient que lorsque nous leur apportions à manger.
Un grand nombre de prisonniers en provenance de Lille furent amenés ce matin. Comme j’étais la seule à posséder quelque talent linguistique, on me nomma interprète.