Jeune journaliste, Leslie Coulson a préféré se battre au front en qualité de simple soldat même s’il aurait pu suivre le conflit pour un journal. Tué en octobre 1916, il a laissé des poèmes qui montrent un grand talent d’écrivain. |
« Si je dois tomber, ne pleurez pas«
Dans le cimetière de Grove Town, à Méaulte, la tombe de Leslie Coulson ne se distingue en rien de celles des 1391 autres soldats britanniques, canadiens, australiens et néo-zélandais qui reposent dans ce coin verdoyant de la Somme. La Commission des Sépultures de Guerre en a décidé ainsi. Les soldats morts au combat doivent être égaux devant la mort, qu’ils aient été ouvriers, étudiants, avocats ou journalistes. Le registre du cimetière indique cependant que Leslie Coulson était un journaliste et un poète de renom. A sa mort, le Sunday Times indique dans sa notice nécrologique qu’il était un de nos plus brillants jeunes écrivains. A 27 ans, Leslie Coulson avait certainement un bel avenir littéraire devant lui. En octobre 1916, il n’était cependant que le sergent Coulson du 12ème régiment de Londres et sa seule préoccupation était de rester en vie.
Le père de Leslie Coulson, magasinier dans une maison de confection, décide en 1894 d’abandonner son métier pour se consacrer à la littérature et au journalisme. Son premier recueil de poèmes paraît en 1899. Fier du succès qu’il rencontre dans sa nouvelle carrière, il transmet son enthousiasme pour l’écriture à ses fils. Leslie est un garçon à la santé fragile, qui aime s’échapper de la vie londonienne pour aller se balader dans la campagne, laquelle devient vite pour lui sa principale source d’inspiration poétique. Son père l’aide à se frayer un chemin dans le monde de la presse. Leslie fait ses premières armes dans des journaux provinciaux avant de revenir à Londres et d’intégrer la rédaction du Morning Post, un des quotidiens les plus vendus en Grande-Bretagne. Il se met également à écrire des nouvelles, des pièces de théâtre et des poèmes, où l’on sent planer une sorte de prémonition, une angoisse de l’avenir, qui reflètent à la fois les préoccupations personnelles du jeune journaliste et la tension générale qui régnait dans les années précédant la guerre.
En août 1914, son frère, également journaliste, part en Belgique en tant que correspondant de guerre, mais Leslie préfère s’engager comme simple soldat, refusant de suivre la formation pour devenir officier. Il déclare à l’époque : Je ferai ce qui est juste. Je prendrai ma place dans la troupe. La veille de Noël, il embarque pour Malte, où est basée la flotte méditerranéenne britannique. Les soldats y poursuivent leur entraînement loin de la guerre. Coulson profite de son temps libre pour créer une revue bimensuelle dont les bénéfices seront versés à la Croix-Rouge : The Garrison Goat. Il y fait paraître quelques poèmes ayant notamment pour thème les blessés de Gallipoli qui affluent dans les hôpitaux de l’île.
Le 26 août 1915, il part pour l’Égypte, où son régiment se repose plusieurs semaines avant de mettre le cap sur Gallipoli. Il atteint l’île grecque de Lemnos le 8 octobre et fait sa première expérience du combat quelques jours plus tard. Les violents orages transforment les tranchées en bourbiers. Les conditions climatiques font presque autant de victimes que les combats contre les Turcs. Les unités britanniques ne tardent pas à être évacuées. Les hommes du régiment de Londres passent ensuite deux mois en Égypte avant d’embarquer pour Marseille et de rejoindre Rouen. Coulson est promu sergent et envoyé à Hébuterne, un peu au nord du secteur où se déroulera la bataille de la Somme.
Dans la Somme, il retrouve un paysage qui lui évoque son Angleterre natale : ondulations de collines verdoyantes et petits bois. Peu avant la bataille, il écrit à sa famille : Si je dois tomber, ne pleurez pas. Je ne serai plus qu’un avec le vent et le soleil et les fleurs. Il survit à l’offensive du premier juillet et passe deux mois dans le secteur d’Hébuterne. C’est pendant cette période qu’il écrit L’Arc-en-ciel, poème où il exalte la force de la nature malgré ses interrogations de plus en plus grandes sur le bien-fondé de la guerre. Ses derniers poèmes reflètent sa tristesse de voir la guerre meurtrir les paysages de la Somme.
Curieusement, son métier de journaliste ne l’a pas poussé pas à écrire sur la guerre autrement que par le biais de la poésie et dans ses lettres. Il est tué d’une balle dans la poitrine au cours d’une attaque en octobre 1916 et meurt le lendemain à l’hôpital d’évacuation de Grove Town. On retrouve deux poèmes sur lui, dont Who Made the Law ?, où éclate sa colère et son incompréhension face à la guerre. Pour sa tombe, son père choisira une épitaphe tirée de l’œuvre Milton qui exalte la noblesse de sa mort. On peut douter que Leslie Coulson eût approuvé ce choix.
L’arc-en-ciel Face à l’aube blanche qui scintille Sous le tonnerre des canons camouflés, J’entends les obus crier leur rage Dans des cieux doux comme le rêve Où percent les premiers rayons d’argent, Lueurs de poignard, Qui tailladent le blanc immaculé. Mais au fond de moi, je sens l’ancienne et noble exultation, Et je remercie les dieux que l’aube n’ait rien perdu de sa beauté. La mort qui tombe d’en haut M’oblige à baisser la tête dans la tranchée, Mais de la terre où nos morts sont étendus Une alouette rousse s’élève avec son chant Vers un ciel sans nuages. Elle fend l’air que déchire Le feu des shrapnels Et chante à l’envi au-dessus des morts placides, Et je remercie les dieux que les oiseaux n’aient rien perdu de leur beauté. Là où le parapet est bas, Juste à hauteur de regard, Des coquelicots et des bleuets ont des reflets chatoyants Tandis que les blés oscillent mollement, Liseré frémissant du ciel. Les tiges d’or dissimulent Les corps de ceux qui sont tombés, Ils ont chargé à l’aube, pour tuer ou être tués. Et je remercie les dieux que les fleurs n’aient rien perdu de leur beauté. Quand la nuit tombe, nous rampons En silence vers nos morts. Nous creusons la terre Et les laissons dormir là – Mais le sang la nuit est rouge, Oui, même la nuit, Même si le visage d’un mort reste blanc. Et je me sèche les mains, qui elles aussi sont expertes à tuer, Et je regarde les étoiles – car elles n’ont rien perdu de leur beauté. | The Rainbow Watch the white dawn gleam, To the thunder of hidden guns. I hear the hot shells scream Through skies as sweet as a dream Where the silver dawn-break runs. And stabbing of light Scorches the virginal white. But I feel in my being the old, high, sanctified thrill, And I thank the gods that the dawn is beautiful still. From death that hurtles by I crouch in the trench day-long, But up to a cloudless sky From the ground where our dead men lie A brown lark soars in song. Through the tortured air, Rent by the shrapnel’s flare, Over the troubleless dead he carols his fill, And I thank the gods that the birds are beautiful still. Where the parapet is low And level with the eye Poppies and cornflowers glow And the corn sways to and fro In a pattern against the sky. The gold stalks hide Bodies of men who died Charging at dawn through the dew to be killed or to kill. I thank the gods that the flowers are beautiful still. When night falls dark we creep In silence to our dead. We dig a few feet deep And leave them there to sleep – But blood at night is red, Yea, even at night, And a dead man’s face is white. And I dry my hands, that are also trained to kill, And I look at the stars – for the stars are beautiful still. |